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peuvent avoir, sur ces choses, les races étrangères où elles se sont produites. Toujours on a l’impression que les Anglais considèrent leur île comme située non seulement à part, mais au-dessus du reste du monde, à une hauteur qui leur permet de tout voir et de tout comprendre en restant chez eux. Qu’ils aient à étudier un peintre italien, allemand, ou français, d’avance ils se croient en mesure d’apprécier plus justement l’œuvre de ce peintre que ne pourraient le faire ses compatriotes. Ont-ils besoin de se renseigner ? c’est encore à des Anglais qu’ils demandent tous leurs renseignemens. Et l’apport tout entier de la critique italienne, allemande, ou française, est absolument comme s’il n’existait pas.

C’est là, d’ailleurs, une attitude qui leur est si naturelle qu’il n’y a point de genre où ils ne la transportent, depuis l’histoire politique jusqu’à la chronique littéraire : mais nulle part, peut-être, elle ne se manifeste aussi ouvertement que dans la critique d’art, avec un abandon aussi ingénu. Et un des derniers volumes de la collection des Great Masters nous en offre un exemple nouveau, qui est à la fois si caractéristique et si surprenant que je ne résiste pas au désir de le signaler. Dans cette collection, où ne figurait encore aucun maître français, — et où, du reste, la peinture anglaise n’est encore représentée que par le médiocre Wilkie, — un critique anglais, M. Edgcumbe Staley, s’est chargé d’étudier la vie et l’œuvre d’Antoine Watteau. Il l’a fait en un volume dont l’illustration a le grand mérite de reproduire nombre de tableaux des galeries publiques et privées anglaises, — encore que plusieurs de ces tableaux, à les juger par la photographie, semblent bien n’être que des copies ou des travaux d’élèves ; — mais, pour ce qui est de son texte, on peut sans crainte d’erreur en conclure trois choses, qui, au point de vue français, ont de quoi nous paraître assez imprévues de la part d’un biographe et critique de Watteau. Oui, on peut conclure de chaque page de ce livre que M. Staley ne connaît que d’une façon extrêmement insuffisante l’histoire de l’art en général ; que d’une façon plus insuffisante encore, il connaît la vie et l’œuvre de Watteau ; et qu’enfin il ne connaît pas du tout la langue française, malgré les constantes citations qu’il se plaît à en faire. Et c’est dans ces conditions qu’il a pris sur lui de présenter à ses compatriotes l’image d’un maître que ceux-ci ont volontiers l’habitude de considérer comme leur appartenant autant et plus qu’à la France : car on sait que les Anglais se flattent non seulement de posséder chez eux les principales peintures de Watteau, mais encore d’avoir été les premiers à découvrir et à apprécier son génie.