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Métayer reçut alors la commande de décorer l’église Saint-Nicolas ; et c’est au jeune Watteau que fut assignée la figure du saint, le plus populaire de tous les saints en France à cette époque. Avec une laborieuse assiduité il se mit au travail, si bien que, un jour, il se sentit presque possédé par le bon saint. « Je savais, disait-il, mon Saint-Nicolas par cœur, et je me passais d’original. » Ses compagnons, par moquerie, l’appelaient Evêque, et Peintre à l’Évêque de Myre ! Fatigué de cette monotonie, il finit par jeter son pinceau dans le bénitier de l’église, et se sépara pour toujours de Métayer.


Ai-je besoin de noter que Métayer (qui ne s’appelait pas Louis, mais Abraham) n’a jamais été chargé de « décorer l’église Saint-Nicolas ? » Nous lisons simplement, dans les souvenirs de Gersaint :


On débitait, dans ce temps-là, beaucoup de petits portraits et de sujets de dévotion aux marchands de province, qui les achetaient à la douzaine ou à la grosse… Chez le peintre chez lequel il venait d’entrer, Watteau ne fut occupé qu’à ces ouvrages médiocres. Il fut cependant distingué des autres, parce qu’il se trouvait propre à tout, et, en même temps, d’expédition. Il répétait souvent les mêmes sujets. Il avait surtout le talent de rendre si bien son saint Nicolas, qui est un saint que l’on demandait souvent, qu’on le réservait particulièrement pour lui. « Je savais, me dit-il un jour, mon Saint-Nicolas par cœur, et je me passais d’original. »


On sait que, au sortir de l’atelier de Métayer, Watteau devint l’assistant de Claude Gillot. Mais certainement on ne sait pas ceci, que va nous révéler l’écrivain anglais : « Gillot travaillait au Grand Opéra, et le jeune Watteau l’y accompagna. Là, il devint follement amoureux d’une belle danseuse de ballet, La Montagne, comme on la nommait. Elle rejeta ses avances, mais lui permit de la dessiner et de la peindre dans toutes les poses concevables. C’était un grand pas dans la carrière de l’artiste. Les autres ballerines, terriblement jalouses de La Montagne, demandèrent au jeune Watteau de les peindre aussi ; à quoi il réussit éminemment. Cependant son maître découragea ces violentes flirtations ; mais il ne put s’empêcher de reconnaître la beauté plus grande des figures et des groupes de son élève. C’était partout La Montague, et son doux visage virginal jaillissait de toutes les arabesques de Gillot. » Cette mystérieuse « Montague » (je crois me souvenir d’avoir lu autrefois une fantaisie d’Arsène Houssaye où Watteau s’éprenait d’une danseuse nommée La Montagne) va désormais reparaître sans cesse dans le récit de M. Staley. Et l’on apprendra avec plaisir que, en 1721, à la veille de la mort du maître, La Montague,