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Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 17.djvu/472

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pour Cythère : « Ce chef-d’œuvre des chefs-d’œuvre de Watteau, cette toile enchantée, où l’esprit vivifiant circule parmi les pèlerins comme le parfum parmi les fleurs ! »

J’arrête là mes citations : mais vraiment, je le répète, il n’y a pas une phrase dans tout le livre de M. Staley qui ne soit en désaccord avec ce que nous savons ou pensons, en France, de Watteau. Et je dois déclarer, après cela, que ce livre est souvent fort bien écrit, d’un style simple, élégant, plein d’agréables images. Évidemment, l’auteur ne manque ni du goût ni du talent qu’il faut pour produire un bon livre. Il aurait pu offrir à ses compatriotes, j’en suis sûr, d’intéressantes biographies de Hogarth, de Reynolds, de ce noble et touchant Watteau anglais qu’a été Thomas Gainsborough. Mais non : ignorant tout de la France, c’est au plus français des peintres français qu’il a voulu s’en prendre ! Et de même avaient fait, avant lui, maints autres écrivains anglais ; de même avait fait par exemple le célèbre Walter Pater, qui, dans un de ses Portraits Imaginaires, avait employé toute la grâce harmonieuse de sa langue de poète à dénaturer la personne et l’œuvre de Watteau. Et de même font tous les jours, autour de lui, historiens, critiques, chroniqueurs, s’installant en maîtres dans la littérature ou dans l’art français, pour y distribuer à leur fantaisie l’éloge et le blâme, le tout invariablement entremêlé de phrases françaises tout à fait dans le genre de celles de M. Staley.

Il y a là un travers constant, une sorte d’infirmité nationale. Et M. Staley a même, sur quelques-uns de ses confrères, un avantage incontestable : s’il attache peut-être trop d’importance aux jugemens critiques de C. Moraine et de Paul N. Bergeret, du moins il les accepte, Il ne se croit pas tenu à les réfuter ; du moins il n’essaie pas une seule fois d’établir que Watteau n’a eu aucun talent, ou encore que son talent n’a jamais été compris de ses compatriotes. C’est modestement, respectueusement, que, d’un bout à l’autre de son livre, il se trompe sur la vie et l’œuvre de Watteau : son ignorance est toujours mêlée de déférence, au lieu de l’être d’ironie ou de hauteur provocante ; et, par comparaison, on ne peut s’empêcher de lui en savoir gré.


T. DE WYZEWA.