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la meilleure amie de la Porte, éprouverait en ce qui la concerne la même impression, c’est elle qui jouerait à la révolution et qui chercherait à s’emparer de la Macédoine. Nous avons dit, il y a quinze jours, que les prétentions de la Serbie étaient moins étendues, mais elles sont tout aussi énergiques sur la partie du territoire qui l’avoisine et où elle se trouverait en conflit avec les Albanais. Il faut parler des Albanais. Les uns occupent une partie de la Macédoine et les autres l’Albanie proprement dite, qui a pour capitale Scutari : que ferait-on d’eux, dans l’hypothèse où la Macédoine deviendrait indépendante, soit par elle-même, soit par son rattachement à un pays qui le serait déjà lui-même ? Que ferait-on de l’Albanie, peuplée de la race la plus militaire des Balkans ? La population musulmane y dominant, est-ce qu’on la laisserait à la Porte ? Il devrait sans doute en être ainsi ; mais comment la Porte pourrait-elle conserver longtemps une province qui serait séparée de Constantinople par toute l’épaisseur de la Macédoine ? C’est là un côté de la question qu’on passe trop volontiers sous silence. L’Albanie détachée de l’empire ottoman deviendrait une proie offerte aux tentations qui pourraient s’exercer sur deux grandes puissances au moins, l’Autriche et l’Italie, et peut-être sur une autre encore, car la Russie ne cesserait pas de s’intéresser à un troisième larron qui s’appelle le Monténégro. Plus on réfléchit au problème macédonien, plus les complications inévitables en apparaissent menaçantes, et on se demande si une fausse démarche n’aurait pas pour effet, sous prétexte d’obvier aux désordres actuels, d’amorcer des événemens militaires d’une portée presque incalculable. Tout le monde le craint en Europe, et, comme on y est sincèrement pacifique d’intention, on recule devant ces dangers ignorés de ceux qui recommandent l’intervention des puissances comme une panacée. Cette panacée risquerait de mettre le feu partout.

On dit que la politique des réformes a fait banqueroute. Nous nous y attendions bien ; mais ce n’est pas une raison pour ne pas faire des réformes. Il faut en faire dans l’intérêt de l’humanité. La situation intérieure de la Macédoine est épouvantable, et cela par la faute de la Porte, qui aurait tout intérêt, même à son point de vue le plus égoïste, à enlever aux révolutionnaires ce prétexte et à l’Europe cette cause sérieuse de réprobation. Toutefois il serait puéril de croire que le lendemain du jour où les réformes seraient faites, l’apaisement se produirait comme par enchantement. Au fond, la plupart des Macédoniens ne demanderaient qu’à rester tranquilles. Ce qu’on appelle bien à tort « l’organisation intérieure » est une organisation