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constitué au moyen d’élémens européens et d’élémens nationaux[1]

Il ne manquerait certes point, dans les armées occidentales, d’officiers généraux et supérieurs, expérimentés, possédant toutes les qualités requises et qui, nouveaux Gordon, par dévouement, se laisseraient tenter par la grandeur de ce but. Cette collaboration intime des élémens de l’Orient et de l’Occident, ayant pour premier objectif de travailler à mettre la Chine en état de pouvoir compter bientôt sur une armée assez forte pour n’être plus exposée à avoir à redouter les convoitises d’une puissance isolée, ferait plus que toutes les guerres dont l’ouverture de la Chine aux idées modernes a été la cause ou le prétexte, pour amener la bonne harmonie des relations entre ces deux parties du monde. Elle permettrait à la nation chinoise d’accomplir aussi paisiblement que possible, sans à-coups, la révolution sociale qui s’impose à tous les peuples, comme loi implacable,

  1. L’orgueil chinois est, d’après l’opinion de ceux qui ont écrit sur ce sujet, réputé irréductible : toute la série des revers n’a pu encore l’abattre et c’est à tout autre cause, dit-on, qu’à l’infériorité de sa science qu’il attribue ces revers. A dire toute notre pensée, nous sommes persuadé qu’il en est parmi ces intellectuels chinois, parmi ces lettrés, de réellement convaincus, mais qu’il en existe un plus grand nombre qui ne s’opposent à l’adoption des réformes de tout ordre que poussés uniquement par des sentimens de pur égoïsme et d’intérêt personnel : 1° par crainte, d’abord, que l’exécution des réformes n’amène un contrôle sérieux de leurs actes administratifs, de l’emploi des deniers de l’État, et ne vienne diminuer ainsi considérablement la source de profits qui est attachée, comme une conséquence rationnelle de la fonction, à la situation acquise par chaque mandarin ; 2° par haine du militarisme, qu’ils détestent, moins pour de hautes raisons morales, notamment comme philanthropes, que parce qu’ils voient dans les mandarins militaires des concurrens, pendant longtemps évincés, aux honneurs, à la considération publique, aux charges, etc., et aux profits de toutes sortes qu’en tirent les lettrés et dont ils veulent être les seuls à conserver le privilège.
    Un bon lettré chinois a, il est vrai, également, la prétention de posséder la science infuse : ses grades universitaires lui donnent les aptitudes les plus diverses et les plus hautes : il est, à volonté, administrateur, législateur, ingénieur, général, etc.
    L’empereur Kouang-Tsu, mieux inspiré, fait preuve d’une modestie que, dans leur intérêt mieux entendu et, en tout cas, pour le bonheur de l’Empire, ces lettrés auraient tort de ne pas prendre pour exemple :
    « Les Européens, proclamait-il, dans un décret du mois de septembre 1898, peuvent nous aider à atteindre là où nous autres tout seuls nous n’atteindrons jamais. Or, il y a aujourd’hui quelques grands fonctionnaires, confinés dans le cercle étroit de leurs propres idées, qui osent, dire des Européens qu’ils ne possèdent pas les principes de la vraie doctrine ! Ils ignorent qu’innombrables sont les lois de l’administration européenne, et les vertus de leur science et de leur religion. »
    Dans aucune branche du savoir occidental plus que dans l’organisation et la conduite des armées, c’est-à-dire dans l’art de la guerre, les Célestes n’auraient besoin des conseils et des leçons de maîtres européens.