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de Pékin donnât, en 1875, aux autorités civiles et militaires de ces frontières des instructions rigoureuses, leur prescrivant, sous leur responsabilité personnelle, de concourir, par tous les moyens, avec la France, à la pacification de ces territoires, pour que la piraterie cessât des deux côtés de la frontière. La Cour de Pékin fut admirablement servie, dans l’exécution de ces desseins à notre égard, par ce même général Sou, qui exerça pendant quinze années le commandement en chef des forces chinoises du Quang-Si et que des informations tendancieuses signalent comme rappelé, aujourd’hui, en disgrâce, auprès de cette Cour, sous l’inculpation de n’avoir point su réprimer la révolte qui désole, à cette heure, les provinces du Yun-Nan et du Quang-Si[1].

  1. La cause principale de ce soulèvement, qui préoccupe à bon droit le gouvernement de l’Indo-Chine et la Cour de Pékin, doit être attribuée à la disette qui sévit, aujourd’hui, d’une manière effroyable, dans ces contrées et qui est le résultat de deux mauvaises récoltes successives. Des gens, mourant de faim, sont facilement disposés à recourir à la piraterie pour pourvoir à leur subsistance. C’est le cas de la plupart de ces pirates qui couvrent généralement leur participation à la piraterie, de sentimens xénophobes ou même anti-dynastiques.
    D’autre part, lorsque les récoltes font défaut, il n’est pas de rentrée d’impôts possible. Le trésor de ces provinces, uniquement alimenté par les ressources locales, fut bientôt épuisé par le fait de cette situation, et, aussi, à la suite de sommes considérables que celui-ci dut verser, dans ces dernières années, à titre d’indemnités, à des Compagnies concessionnaires de grands travaux dans le Yun-Nan et dans le Quang-Si. Les vice-rois se trouvèrent ainsi dans l’impossibilité d’assurer le paiement de la solde des corps de troupe de ces frontières. Dans ces conditions, des réguliers de ces corps ne tardèrent pas à aller grossir, par fractions constituées, parfois avec armes et bagages, ces bandes de pirates ou de rebelles.
    Le général Sou réussit, en opérant de concert avec le colonel Riou, dans le cours de l’année dernière, à réprimer énergiquement un soulèvement qui venait de se produire sur notre frontière. Mais la situation empira bientôt, principalement par suite du manque d’entente des commandans des forces des trois provinces limitrophes — le Yun-Nan, le Quang-Si et le Quei-Tchéou — qui, agissant, chacun, d’une manière indépendante, mobilisaient successivement leurs troupes, lorsque le mouvement devenait inquiétant pour eux, et se bornaient à rejeter les pirates sur le territoire de la province voisine.
    Nous ne devons point oublier que c’est non loin de ces frontières que prit naissance la révolte des Taï-Pings, qui causa la ruine d’un grand nombre de cités chinoises et la mort de plusieurs centaines de mille habitans. Aussi, il importe, dans notre intérêt comme dans celui du Céleste-Empire, que le calme soit promptement rétabli dans ces régions, en employant les mesures d’ordre administratif en même temps que les mesures militaires qui sont nécessaires En tout cas, si les gouverneurs de ces trois provinces chinoises sont débordés ou impuissans à étouffer cette rébellion, il est urgent qu’ils fassent appel, sans tarder, pour la vaincre, au concours de nos troupes, quelque atteinte que puisse en subir l’orgueil chinois, si chatouilleux en cette matière. La France saisira avec empressement cette occasion de donner, sans arrière-pensée aucune, un nouveau témoignage de sympathie à la grande nation, sa voisine, en coopérant par l’envoi de ses troupes de l’autre côté de la frontière, au rétablissement de l’ordre. Cette tache achevée, nos troupes regagneraient sans tarder la région tonkinoise.