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de secousses nerveuses. Une sève religieuse ne cessait pas de la tourmenter, de pousser toujours, en masses épaisses, des bourgeons grandissans et nouveaux. Par son immobilité, par sa monotone contemplation du vide, le bouddhisme répugnait à des cervelles Imaginatives jusqu’au délire, obsédées de visions de nombre, de pullulement, de confus infini, sensibles à tout ce qui est vie, devenir et multiplicité. Aux pures négations de Gautama toutes sortes de tendances et d’habitudes s’opposaient. L’Inde n’avait pas oublié les antiques divinités naturelles : les planètes (encore figurées et adorées dans les énormes temples du Sud), le Soleil (que les foules de Bénarès n’ont pas cessé de saluer tous les matins), les fleuves, le Gange. Elle avait l’intuition des mystérieuses puissances métaphysiques, de l’Être, de l’Illusion, de la Matière, de l’Esprit, de la Vie, de la Mort. Elle avait besoin de symboles sensibles où incarner tout ce qu’elle sentait dans la nature ou derrière elle. Et puis, les races inférieures, à peau sombre, qui forment la masse immense de ses basses castes avait gardé le souvenir et le goût des bas cultes sanglans, des zoolâtries primitives, des pierres fétiches, des démons à têtes noires, des dieux à museaux de bêtes. La terre était trop riche, les fermens de vie trop forts. Toute cette jungle religieuse devait repousser, s’épaissir encore malgré la tentative bouddhique pour la déraciner et mettre à la place la pure étendue rase.

Comme on sent ici ces contrastes ! Ce matin, dans le faubourg de Poussoundoun, nous visitions un vieux monastère. Des kiosques sous de grandes palmes ; des salles nues, avec le seul et sempiternel Bouddha dont le geste enseigne la quiétude. Il y avait bien, sur certains murs, des images d’enfer, mais quoi de plus raisonnable que de menacer les méchans d’une punition ! Et ces châtimens bouddhiques ne sont pas éternels. On en revient, de cet enfer, pour essayer de nouveau sa chance, sous forme d’homme ou de bête, et tâcher, par une vie plus sage, de se rapprocher un peu de la bienheureuse extinction finale. Même, par certains côtés, cet enfer est aimable : de petits squelettes y dansent des pwés birmans : voilà bien les dislocations rythmées, les gestes à l’envers des graves petites danseuses de Rangoon.

Dans le jardin, une douzaine de moines sont assemblés pour le repas, en rond, par terre, autour de leur supérieur, autour des boîtes et des plateaux laqués où s’entasse le riz de l’aumône. De vrais moines : la retraite, la contemplation, l’abstinence, les