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« Chateaubriand et sa clique » du traitement que David avait fait subir à la race d’Achab[1]. Mais ce n’était que par intervalles et par accès que Chateaubriand élevait la voix contre le despotisme ; il n’avait pas cette ténacité, ce génie d’intrigue, cette haine, ces immenses relations, qui faisaient de Mme de Staël une ennemie si dangereuse de Napoléon. Au fond, celui-ci ne le craignait guère. Après l’article du Mercure, il lui avait donné l’ordre de se retirer à quelques lieues de Paris ; en octobre, il lui avait retiré le privilège de ce journal, dont Chateaubriand était propriétaire. « Ma propriété périt, a écrit celui-ci, ma personne échappa par miracle. » Napoléon, le premier moment de fureur passé, n’en voulait pas à sa personne ; entre l’exilée de Coppet et l’ermite de la Vallée-au-Loup, il mettait quelque différence.

Ce ne fut que trois ans plus tard, en 1810, que recommença la correspondance de Chateaubriand et de Mme de Staël. Tous deux étaient alors fort tristes. Le despotisme pesait chaque jour plus lourdement sur la France. Le livre De l’Allemagne venait d’être supprimé, mis au pilon, son auteur exilé. L’année précédente, les Martyrs, sur l’ordre de la police impériale, avaient été critiqués avec violence ; Hoffmann, dans le Journal de l’Empire, s’était montré fort injuste. On reprochait à Chateaubriand ses allusions à l’Empereur, à sa cour, aux philosophes, comme ce Hiéroclès, qui égorge les chrétiens au nom de la raison et de la liberté. L’Empereur ne voulait pas qu’on remuât le feu qui couvait toujours sous la cendre ; puis, il n’était pas fâché que cette polémique fît diversion aux affaires plus sérieuses. Chateaubriand avait vu se tourner contre lui, non seulement les philosophes et les gens en place, mais des catholiques même, qui prétendaient que le livre n’était pas à l’abri des censures ecclésiastiques. Ajoutez à cela la mort tragique d’Armand de Chateaubriand, son cousin, fusillé, le 31 mars 1809, comme émissaire royaliste. Chaque jour, le grand ciel morne et gris s’étendait davantage sur la France, sans qu’un rayon de soleil, sans qu’un lambeau d’azur vînt réjouir l’âme, lui permît de s’élever et de chanter en paix. L’esprit assombri par ces tristes pensées, Chateaubriand écrivait à Mme de Staël les deux lettres suivantes, à quelques jours d’intervalle :

  1. Lettres inédites de Napoléon, publiées par Lecestre, I, p. 100.