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jour comme je serai tous les jours suivans ; ainsi je réglerai cela en une demi-heure à l’un de ces hôtels, j’ai même déjà vu ce qui était possible en chambres. Ce qui me contrarie vivement, c’est de ne vous pas voir pour vous expliquer tout cela ce soir en causant ; c’est aussi (car tout prend place dans une imagination un peu superstitieuse), c’est l’idée que Lucie ou M. Lèbre se feront quand ils verront emporter les livres, et moi-même découcher. J’en ai parlé ce matin à M. Espérandieu revenu de Vevey, et qui trouve cela tout simple. Trouvez-le également, cher ami ; n’en parlez pas du tout, s’il est possible, à Mme Olivier, et offrez-lui seulement mes plus affectueux respects ; offrez-les aussi à Mlle Ruchet et à M. votre beau-frère. Je lis depuis deux jours à tort et à travers, j’ai revu toutes mes notes, j’en ajoute d’autres, enfin je suis dans des transes. Je crois avoir trouvé une manière de péroraison pour le premier jour, tirée du lac[1]. Oh ! pourquoi faut-il qu’on ne fasse rien qu’à ce prix et que tout enfantement déchire ?

« Adieu et répondez-moi vite pour approuver, pour absoudre.

« A vous de cœur. »


1838

Dimanche midi, à Besançon, 4 juin 1838.

« Mes chers amis, « Puisque j’ai ce jour, je vous dois bien dire un moment combien j’ai pensé à vous depuis le départ et combien tout ce que je n’ai pas pressé dans l’adieu a été se développant en moi à

  1. Rappelons ici cette péroraison :
    « Nous tâcherons, du moins, messieurs, de relever chemin faisant, de recueillir et de vous communiquer ces doux éclairs d’un sujet si grave. Ce ne sera jamais une émotion vive, ardente, rayonnante : c’est moins que cela, c’est mieux que cela peut-être ; une impression voilée, tacite, mais profonde ; — quelque chose comme ce que je voyais ces jours derniers d’automne sur votre beau lac un peu couvert, et sous un ciel qui l’était aussi. Nulle part, à cause des nuages, on ne distinguait le soleil ni aucune place bleue qui fit sourire le firmament ; mais, à un certain endroit du lac, sur une certaine zone indécise, on voyait, non pas l’image même du disque, pourtant une lumière blanche, éparse, réfléchie, de cet astre qu’on ne voyait pas. En regardant à des heures différentes, le ciel restant toujours voilé, le disque ne s’apercevait pas davantage, on suivait cette zone de lumière réfléchie, lumière vraie, mais non éblouissante, qui avait cheminé sur le lac, et qui continuait de rassurer le regard et de consoler. La vie de beaucoup de ces hommes austères, que nous aurons à étudier, est un peu ainsi, et elle ne passera pas sous nos yeux, vous le pressentez déjà, sans certains reflets de douceur, sans quelque sujet d’attendrissement. » (Port-Royal, t. I, p. 29.)