Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 17.djvu/747

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’en pas finir[1]. Oui, j’ai pu sans peine repasser longuement tant de bontés si chères et la reconnaissance si douce, si unie et si profonde qui en est dès longtemps formée en mon cœur. Ce voyage n’a été ni très bon ni le contraire ; quand j’ai eu le plaisir de rencontrer M. Régnier à Orbe j’étais encore dans la première fraîcheur matinale. Cela est tombé insensiblement, et une fatigue assez continue a succédé. J’en suis là. Je suis arrivé à Besançon ce matin à quatre heures et j’ai un peu dormi, mais le délassement n’est pas encore venu. Je compte pourtant repartir ce soir, si je puis m’assurer d’une place un peu commode ; car la voiture fatigue encore moins que des jours si nus et si vides sur le pavé d’une ville, le dimanche, après l’habitude si remplie d’une vie d’amis.

« Je reprends ce bout de lettre après une sortie ; j’ai retenu ma place pour ce soir neuf heures ; et je viens de plus de récidiver un sommeil qui cette fois a commencé de me refaire. Ainsi tout est au mieux pour le corps ; l’animal n’est pas trop mal. — Pour l’esprit, pour le cœur au moins, j’ai non pas rimé, mais pensé un sonnet. Les rimes n’ont pu venir, mais il aura pourtant sa date, le 2 juin, en revoyant, de Ballaigues à Jougne, les mêmes versans du Jura, cette fois tout vert[2].

« J’ai revu ces versans après l’hiver passé, j’ai revu ces grands bois dans leur feuille nouvelle, près des anciens, sombres et fixes, les pins, ressuscites dans leur plus tendre verdure, les mélèzes eux-mêmes dans toute la délicatesse de leur robe réparée… (peindre toutes les nuances du vert).

« Ainsi, dans le fond sûr de l’amitié constante ce qui passe et revient est plus tendre à revoir. Et j’appliquai cela à cette absence dont le renouveau sera une plus tendre couleur dans la profonde et certaine couleur éternelle du fond. Mme Olivier achèvera de rimer ce sonnet.

« Adieu, chers et bien-aimés amis. Je compte bien sur votre bonté en vous jetant ce bout de lettre à la poste. Mille amitiés à M. Lèbre, à M. Ruchet s’il est encore des vôtres, un baiser à Aloys[3]qui ouvrira une lèvre interrogeante et à Ziquety[4]qui tout bonnement sourira.

« Adieu encore et à toujours. »

  1. Sainte-Beuve avait terminé son cours à Lausanne et rentrait à Paris.
  2. On trouvera ce sonnet plus loin.
  3. Enfans de M. et Mme Olivier.
  4. Enfans de M. et Mme Olivier.