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Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 17.djvu/750

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les bienveillans indiscrets. Je crains bien moi-même d’avoir porté à Labitte, à qui Buloz a remis toutes ces dépêches, une dénonciation de plus et de véritables lettres de Bellérophon ou d’Uri ; je dis ceci pour notre cher et incorrigible ami Olivier. Labitte m’a ri au nez en lisant la lettre[1]. J’ai été bien sot et suis resté bien reconnaissant. Si M. Monnard avait lui-même écrit, ce serait à lui d’une délicatesse qui me toucherait bien plus qu’elle ne m’étonnerait. Tâchez de le savoir.

« J’ai vu Mme de Castries et son charmant fils. J’ai rencontré à chaque pas dans la rue une quantité de visages et de mains ; je parle peu, mais il résulte de tous les bonjours mis bout à bout une espèce de discours qui vaut presque une de mes longues leçons. — J’en suis là et vais tout à l’heure courir chez Mme de Fontanes, que j’ai jusqu’à présent ajournée[2] un peu assise. Je la mets ici pour obéir, mais j’aime bien mieux savoir la vôtre, et ces sentimens si profonds, si unis, si nuancés pourtant, qui la marquent bien mieux qu’ici une multitude de pas. Combien ce récit de vos deux cœurs qui n’en font qu’un pour moi, me touche, m’intéresse, me rend le passé d’hier et l’espoir de demain ! Oh ! continuez, chère dame et amie, quand Olivier sera las, suppliez-le ; quand vous aurez un peu de lassitude ou que Louise vous viendra brusquement appeler, que deux lignes de la main d’Olivier me disent qu’il n’est pas loin ; deux lignes seulement ! Après quoi il rentrera dans son cabinet,

  1. Charles Labitte était l’ami préféré de Sainte-Beuve. C’est à lui que Sainte-Beuve envoyait des notes sur son cours de Lausanne, pour être communiquées à la presse parisienne. « Je vois Labitte souvent, écrivait-il à Olivier le 20 août 1839, il m’est d’une amitié bien secourable dans tout ce travail d’érudition quand il s’agit d’assaisonner le bas des pages de Port-Royal. » C’est lui qu’il chargea de présenter en son lieu et place Mme d’Arbouville aux lecteurs de la Revue des Deux Mondes, quand on y publia sa nouvelle intitulée Résignation. Lorsqu’il mourut (septembre 1845), voici en quels termes Sainte-Beuve en parlait à Juste Olivier : « Cher ami, vous aurez pu trouver singulier de ne pas me voir. J’allais chez vous (Olivier habitait alors à Paris, 31, rue du Faubourg du Temple), lorsqu’on est venu me chercher en toute hâte à la Revue. Ce pauvre Labitte venait de mourir subitement à une heure du soir : malade depuis deux jours d’une grosse fièvre, il ne semblait pas en un tel danger : je l’avais vu hier, ses médecins l’avaient vu aujourd’hui. Ç’a été une consternation et une stupeur pour tous ceux qui arrivaient. — C’est une perte irréparable pour nous fous, perte de cœur et d’esprit… » (Lettre inédite communiquée par Mme Bertrand, née Olivier.) Et, le jour de l’enterrement de Labitte, Sainte-Beuve prononça sur sa tombe un discours qui parut dans les Débats du 24 septembre.
  2. . Voilà à quel bulletin vous vous exposez en me demandant ma vie avant qu’elle soit Mme Christine de Fontanes, fille de l’ancien grand maître de l’Université, habitait ordinairement Genève, et Sainte-Beuve, qui, dès le 27 mars 1838, avait pris rendez-vous avec elle à Paris, s’occupait de la publication des œuvres de son père.