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d’œuvre, et l’on n’avait pas tardé à constater que le régime territorial nouveau avait supposé tout autre chose que la réalité, à savoir un pays exploré, pacifié, policé. De là les premières épreuves et bientôt après la crise des concessions. Le cahier des charges, d’abord, était inapplicable ; il imposait aux compagnies, pendant la période des sacrifices nécessaires et improductifs, des obligations onéreuses ; il n’avait pas résolu franchement la question de la main-d’œuvre indigène et, refusant aux concessionnaires les droits régaliens que possède une compagnie à charte, il ne leur assurait pas l’aide des fonctionnaires pour le recrutement des ouvriers noirs ; ainsi la clause de réensemencement des plantes à caoutchouc enfermait une contradiction, puisque ces travaux agricoles ne peuvent être faits au Congo que par des noirs et que les concessionnaires n’avaient aucune autorité et ne recevaient aucun concours pour rassembler et garder auprès d’eux un personnel d’auxiliaires indigènes.

Les concessionnaires ont, — c’était inévitable, — accusé les fonctionnaires d’inertie, voire de malveillance. M. Guillain, ministre des Colonies au moment de l’octroi des concessions, avait rédigé une excellente circulaire où l’entente était recommandée entre tous les Français du Congo, colons et administrateurs ; ces derniers, disait-il, doivent « traiter les agens des concessionnaires en collaborateurs, les assister dans leur tâche, leur accorder toutes les facilités compatibles avec les intérêts publics dont ils ont la garde. » Nous avons des raisons de croire que la plupart des fonctionnaires se seraient volontiers conformés à ces instructions, s’ils en avaient eu le loisir. Mais il était humain que les agens des compagnies, à proportion qu’ils connaissaient moins le pays et s’agaçaient plus promptement au contact de difficultés imprévues, fissent tomber leur mauvaise humeur sur les fonctionnaires. Ceux-ci s’occupaient des concessionnaires… à leurs momens perdus : harcelés de Paris par des recommandations d’économies à tout prix, ils réduisaient partout les postes de miliciens, différaient les paiemens les plus urgens, évitaient avec zèle tous les travaux publics sans lesquels la colonisation ne pouvait que piétiner.

La faute, en somme, n’était pas aux hommes, mais au système : le régime des concessions aurait pu réussir dans le Congo français, si l’expérience n’avait été faussée à l’origine par les conditions extraordinaires dans lesquelles on voulut la tenter ;