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Seulement ce ne sont là que des similitudes comme celles que signale la zoologie entre animaux de classes différentes, le cétacé, par exemple, et le poisson. Les nécessités extérieures, l’adaptation à des circonstances pareilles ont créé des dehors, des habitudes de vie, et même des états psychologiques qui se ressemblent. Mais que les essences sont différentes ! L’idée d’un Dieu substance, de substances créées et distinctes, l’immortalité personnelle des âmes, la résurrection de la chair, l’enfer et le paradis définitifs, — c’est l’antipode métaphysique et théologique du bouddhisme ; autant d’hérésies pour celui dont l’impassible sourire est partout sur ce parvis, dont les paroles prononcées « par pitié pour le monde, » il y a vingt-cinq siècles, ont prosterné tant et tant de millions d’hommes, comme ce soir ce menu peuple-bibelot.

Extraordinaires paroles de consolation pour nos esprits d’Occident ! Déjà sans doute, la pensée hindoue avait vu l’univers fondre dans le Brahma neutre, sans qualité, qui, n’étant ni ceci, ni cela, peut vraiment s’appeler l’être identique au non-être. Toute réalité ainsi volatilisée par l’analyse ou l’intuition, le problème métaphysique s’abolissait ; les hommes n’avaient plus qu’à tirer les conclusions pratiques. Or, dans l’Inde, la réaction générale à la vie s’est toujours faite en douleur. Dans le triangle de cette vaste péninsule tout entière située dans la zone torride, où des races, séparées du reste de l’humanité, soumises à de si puissantes influences physiques, se sont développées à part et comme en vase clos, le pessimisme est familier comme les famines, endémique comme le choléra. On le reconnaît au ton de la vieille littérature, à l’appétit du néant qui s’y exprime du fond de l’être, — avec quelle ardeur de soupir ! — comme on le devine encore aujourd’hui à la morne langueur des yeux de ténèbres, à la fatigue, à l’ennui des mornes physionomies détendues. L’Européen a vite le sentiment d’y voyager à travers une nappe flottante et continue de tristesse, — étrangement mêlée à la couleur éclatante des costumes, à la splendeur des parures et du décor ; — tristesse sous la torpeur et le feu du ciel, au sein d’une nature disproportionnée à l’homme ; — tristesse de la caste où l’Hindou est inexorablement enfermé, condamné à tourner de père en fils dans le cercle sans issue du métier ; — tristesse des inéluctables traditions qui, d’avance, règlent le détail de la vie ; — tristesse, surtout, des cultes absorbans et