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compliqués, des noirs cultes démoniaques, des religions monstrueuses dont les molles cervelles imaginatives se sont véritablement frappées, qui les mènent par l’obsession, font de l’Inde une possédée, la monomane hallucinée du rite. Tristesse de la vie, répète l’Inde depuis ses origines, — et, par le rêve, par la spéculation, par l’extase, par l’hypnose, l’hébétude systématique, l’ivresse, l’opium, l’orgie mystique, qu’a-t-elle fait que tacher à fuir la vie ? Quelle félicité a-t-elle promise à l’homme que de s’en évader tout à fait, de n’y jamais revenir, de n’être jamais repris par la roue des transmigrations, de se fondre enfin dans l’être ou le néant ? Le bouddhisme est une méthode, accessible non plus seulement aux brahmes, mais à tous les hommes, une calme méthode pour atteindre à cette perfection. Ni Dieu, ni âme, ni matière, dit-il, rien que des composés, des skandhas, tout étant « semblable à l’écume, semblable à une bulle d’eau, » sans essence, sans permanence, sans moi, — changement, souffrance, illusion, Aneh’sa, Dokka, Anatta, comme l’affirme la sempiternelle formule que bourdonnent en ce moment tant de lèvres au pied de ces « mages. Mais le salut est possible, et c’est la bonne nouvelle à tous apportée par le Bouddha. Hors de la réalité-mensonge, hors du devenir-souffrance, il est des « sentiers. » Que l’homme s’applique à se déprendre des choses et de soi-même, qu’il s’entraîne aux disciplines, à la retraite monastique, qu’il supprime en soi le désir, aiguillon de la vie, force par laquelle le composé vivant, ce tourbillon, transmet en se défaisant son élan acquis au nouveau composé qui, héritier de son mouvement (kharma), n’est que lui-même sous une forme différente, et voilà l’homme sauvé. Maître de soi, vainqueur du vouloir vivre, du principe qui l’assemble et le fait renaître, affranchi de l’égoïsme comme de l’illusion, dédié à ce qui n’est pas lui, charitable, il monte vers l’état suprême « où le quittent enfin tout sentiment d’individualité, toute idée, toute sensation particulière, toute conscience de quoi que ce soit. » Comme un nuage qui se résorbe insensiblement dans l’universel azur, il s’évanouit alors « de cet évanouissement qui ne laisse absolument rien subsister[1]. »

Au sortir des ardeurs confinées de cet oratoire, nous

  1. Mahâ-Pariaibbâna-Sutta, IV, 50.