une grand’messe, coulent en gouttes fondues dans une grasse atmosphère de fumerons, d’encens et de suif. Scintillement de mille flammes, jaune et chaude lumière qui se mêle à la métallique, à la vermeille splendeur du colosse, l’enveloppe ; met sous ces voûtes byzantines, en face du jour trop réel et trop vaste, un refuge de chaude et frémissante vie mystique.
Et là devant, la pauvre foule est répandue, humble, prostrée : les ulcéreux et les loqueteux, les vieilles aveugles et les nonnes rasées, cent faces pâles, flétries, tournées en l’air, passionnément suppliantes, vers le Bouddha pitoyable. Murmure pressé de saintes formules ; on dévide des oraisons ; une mélopée de psalmodies se dégage de cette confusion de voix. Et des figures se contractent, des mains se tendent ; des larmes coulent sous des yeux qui ne voient plus, dans les chenaux des rides. Une fièvre religieuse, — désir, foi, tendresse, espoir, — agite tous ces misérables, comme les populaces souffrantes de notre moyen âge. Une atmosphère extraordinaire, un souffle chaud, qui monte avec les patenôtres, les prières, les fumées, l’odeur et l’ardeur des lumières, et nous prend à la tête, comme une vapeur troublante. Elle gémit vraiment, cette humble foule. Son bouddhisme n’est pas la froide doctrine athée qui, dans l’universel néant, prêche l’éternel renoncement, la défaite de l’illusion par la destruction en soi du vouloir vivre. C’est l’éternelle religion humaine, celle qui ne cesse pas d’agenouiller les hommes devant un rêve de puissances supérieures, autrefois le fellah des Pharaons devant une bonne Isis, comme aujourd’hui tant de veuves devant les madones de nos églises, comme ici ces magots de misère devant ce Bouddha exorable et devenu dieu, — pour implorer une guérison, un paradis, une consolation à la vie, à la mort. Si cette figure au sourire de douceur n’est là, — comme l’affirment les religieux, les bouddhistes initiés, — que pour honorer un grand souvenir, si ce Gautama n’est pas le vrai dieu de ce culte populaire où je n’aperçois pas une seule robe orange, pourquoi ces ex voto de cire, ces chevelures pendues aux murailles, et ces gestes ardens de propitiation, ces mains qui se joignent pour invoquer, et ce continuel va-et-vient de vieux qui portent des flammes, s’approchent un à un de la grande statue, puis s’affairent en tremblant à ses pieds, y collent la pieuse chandelle dont ils ont fait couler quelques gouttes. Beaucoup grimpent sur les rocailles, disparaissent derrière le colosse, et nous