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Ils étaient placides, indifférens aux terreurs des Bilous du soir comme au luxe de leur demeure, de l’étonnant coffret où leur humilité a trouvé son refuge. L’un d’eux se versait du thé, averti, sans doute, que le Maître a proscrit les excès ascétiques. Un autre ne remuait pas, allongé dans une chaise longue de rotin, absorbé, j’imagine, dans ce désirable état où « rien n’est spécialement présent à l’esprit, » peut-être arrivé déjà au degré méritoire « qui tient à la fois de la conscience et de l’inconscience, » en bon chemin vers ce mode sublime où « toute conscience de sensations et d’idées s’est évanouie[1]. » Shin Gautama les a traversées, ces étapes sur la route de la perfection ; seulement, ce n’était pas dans une chaise longue qu’il méditait sous l’arbre Bô.

Sainte paresse bouddhique, et qui n’empêche pas la maigreur admirable des corps sous l’influence des jeûnes, ni les angles métalliques des visages. Deux grandes statues assises, les jambes croisées, le sourire mollement détendu, l’encourageaient de leur somnolente présence, comme alentour, dans la nuit parfumée, la torpeur somptueuse du paysage. Mais quelles physionomies d’énigme fait ce mélange asiatique d’ascétisme et d’apathie !


ANDRE CHEVRILLON.

  1. Mahâ-Parinibbâna-Sutta, VI, 11.