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ainsi, à l’aube de sa vie conjugale, en face de lourdes responsabilités et de grands devoirs dont la naissance des trois enfans qu’elle mit au monde allait bientôt accroître le fardeau. Mère de famille avant d’avoir pu être amante, elle dut se résigner à ne goûter d’autres joies que celles de la maternité. Et encore, ces joies, durant les années qui suivirent, furent-elles traversées par des deuils cruels. En huit années, elle ferma les yeux tour à tour à deux de ses enfans et au fils qu’avait conservé René Hérault de son premier mariage. Elle vécut donc plus de jours tristes que de jours heureux.

Le caractère ombrageux de son mari n’était pas pour les éclairer ni les embellir. Dans ses rapports avec elle comme dans l’exercice de ses fonctions, il apportait plus de sévérité que de bonne grâce. S’absorbant dans les obligations de sa charge jusqu’à compromettre sa santé, condamné par les divisions religieuses qui existaient alors à prendre parti contre les jansénistes et à user de rigueur envers eux, entraîné par ses convictions à exagérer, en les exécutant, les ordres qu’il recevait, prodiguant les perquisitions, les lettres de cachet, sanctionnant les refus de sacrement et de sépulture, consacrant de longues heures à interroger les gens détenus à la Bastille, tourmenté enfin par des scrupules de conscience, qui le livraient incessamment à la crainte de n’en pas faire assez pour la défense de l’Eglise, de compromettre à la fois sa carrière et le salut de son âme, il n’apparaissait dans sa maison que pour y montrer un visage morose, préoccupé, assombri par les deuils, dévasté par la maladie, et où se trahissaient souvent les colères que déchaînaient en lui les attaques de ses ennemis.

Ils ne lui épargnaient ni les railleries, ni les insinuations calomnieuses. Il avait beau faire saisir les écrits qu’il jugeait séditieux, témoigner de son horreur pour la liberté d’écrire, mettre l’embargo sur les Nouvelles ecclésiastiques, organe de la faction janséniste, jeter en prison tout ce qui lui semblait suspect, ses sévérités n’intimidaient pas les malveillans. Ils ne reculaient même pas devant les procédés les plus odieux, tel celui de mentionner dans leurs philippiques et leurs épigrammes, sous des formes injurieuses, le nom de Mme Hérault, — la Hérault, comme ils disaient, — dont la conduite, cependant, avait été longtemps au-dessus du soupçon.

Il n’apparaît pas que, pendant les premières années de leur