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Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 17.djvu/884

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méditatif, appliqué à tout observer au dedans de lui comme au dehors, mais railleur, sceptique, dissimulé, utilitaire, — nous disons aujourd’hui arriviste, — dont les convictions n’ont d’autre source et d’autre base que son intérêt personnel. Il était bon de le constater, car rien n’explique mieux la métamorphose prochaine vers laquelle les événemens vont le faire marcher à grands pas. A cette heure, gentilhomme à la mode, magistrat d’avenir, châtelain accueillant et heureux d’avoir nombreuse compagnie, durant l’été, dans sa terre d’Epone, il n’était encore qu’un homme affamé de renommée, aux manières engageantes, aux formes douces, désireux de plaire, flattant son monde, les jeunes avocats surtout, cherchant à se les attacher par des prévenances et des politesses, persuadé que leurs suffrages l’aideraient à réaliser, ses ambitions vivement surexcitées par son élévation au poste d’avocat général, alors qu’il avait à peine vingt-cinq ans.

Cette élévation, il la devait au maréchal de Contades, qui vantait en toute occasion ses mérites, et surtout à sa cousine, la duchesse de Polignac. Elle l’avait présenté à Marie-Antoinette. La reine s’était intéressée à ce jeune magistrat, chez qui les grâces de l’esprit égalaient celles du visage et qui, partout où il se montrait, brillait au premier rang par les unes et par les autres. La vie alors semble n’avoir pour lui que des sourires et ne lui réserver que des faveurs. Toutes les portes s’ouvrent à son approche. Il est la coqueluche des femmes ; il le sait, en use et en abuse, sans perdre de vue ce que lui commande sa carrière ; roué discret, et ambitieux contenu, qui attend son heure et l’occasion, et se livre, en attendant, sous des dehors de tenue correcte et de sage réserve, à tous les agrémens que dans le rang qu’il occupe, et sa fortune aidant, il lui est aisé de goûter. Il est entièrement à sa place dans ces temps précurseurs de mémorables cataclysmes et dont Talleyrand a dit qu’il faut y avoir vécu, pour connaître la douceur de vivre.

Sous la parure intellectuelle et matérielle qui le rend alors si séduisant, rien encore n’annonce le révolutionnaire fougueux qui couve en lui. Il assiste, sans que rien le révèle, aux préludes de la Révolution, toujours en apparence du côté de l’autorité royale qui semble n’avoir pas de serviteur plus respectueux. Mais, vient le 14 juillet 1789 : ce jour-là, il éclate et se dévoile. L’insurgé perce brusquement sous le magistrat. Il se joint aux bandes qui