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Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 17.djvu/885

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marchent contre la Bastille. Bientôt après, en se vantant d’avoir figuré ce jour-là dans les rangs de la populace, il rappellera, pour s’en faire un titre aux suffrages des électeurs, que deux combattans ont été tués à son côté. Ce n’est donc pas en curieux qu’il assiste à ce spectacle, mais en acteur, et si sa présence au milieu de l’émeute qu’encouragent ses propos et, ses exemples est véritablement extraordinaire, elle l’est moins pourtant que l’impunité assurée à la scandaleuse violation de ses devoirs de magistrat. Au lendemain de l’événement, il occupe en effet son siège sans qu’aucune voix s’élève pour flétrir sa conduite et demander justice, preuve douloureuse de l’impuissance dans laquelle est tombée l’autorité royale en ce jour de fureurs sanglantes.

Dès ce moment, en dépit de ses fonctions qu’il conserve, en dépit des adjurations de sa mère, de sa grand’mère, et probablement du vieux maréchal, il va briser le cercle des traditions familiales dans lequel il a grandi ; il abdiquera le royalisme qu’il a toujours professé et sera à jamais enrôlé dans le parti des démolisseurs. La métamorphose est complète autant que soudaine. Beaucoup d’autres de qui l’on n’attendait guère pareil revirement ont fait comme lui, — dans le Parlement même on peut citer Lepelletier de Saint-Fargeau, — mais aucun avec la même violence, ni avec la même fougue.

S’est-il jeté dans le parti de la Révolution, comme le dit un de ses biographes[1], parce que son collègue Dambray lui portait ombrage et faisait obstacle à son avancement ? C’est attribuer à un grand effet une cause par trop minime. Il était assez bien en cour pour avoir raison de ses concurrens les plus redoutables, et, à son âge, déjà parvenu si haut, il pouvait se flatter de poursuivre sa carrière avec un égal bonheur si l’ancien régime eût duré. Mais il le sentait perdu, voyait venir le nouveau ; et, dépourvu de conviction, de discipline morale, possédé « d’un goût déterminé pour la métaphysique et d’un désir effréné de renommée, » il se donna au parti qui lui parut devoir le mieux réaliser les visées de son âme ambitieuse. En tout cas, sa défection fut définitive et sans retour.

Durant l’automne qui suivit la prise de la Bastille, il se trouvait en son château d’Epone, dont il faisait les honneurs à quelques invités. L’un d’eux, Bellart, alors avocat au

  1. Feller. Dictionnaire biographique.