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Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 17.djvu/938

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division moderne ; de même, le latin est obligatoire, jusqu’à treize ans, dans l’école essentiellement pratique de Dulwich. » À ces exemples, qu’il serait facile de multiplier, j’en ajouterai un, sur lequel mon expérience personnelle ne me laisse aucun doute. Tous ceux qui ont visité les Universités des États-Unis savent quelle extension y a prise dans ces derniers temps l’enseignement des lettres. Dans cette culture classique qu’elle travaille à nous ravir et à s’approprier, la démocratie américaine ne voit pas seulement une parure, mais une force.

La conclusion qui se dégage de ces quelques remarques est très nette, et l’ouvrage qui nous les a suggérées a tout au moins cette utilité d’avoir posé la question comme elle le doit être. A l’enseignement professionnel il appartient de fournir aux jeunes gens une préparation technique ; et puisqu’il laisse encore chez nous beaucoup à désirer, qu’on ne néglige donc rien pour le développer ! A l’enseignement supérieur il appartient d’ouvrir toutes grandes les portes de la recherche scientifique et de former des spécialistes, Entre les deux, reste une place bien déterminée pour l’enseignement secondaire, dont l’objet, qui ne se confond avec celui d’aucun autre, consiste dans la culture générale et désintéressée de l’esprit. De cet enseignement, une démocratie ne saurait se passer ; et il n’y a rien en lui qui contredise le principe même de l’égalité ; car s’il n’est pas en fait également accessible à tous, il ne s’ensuit pas qu’en dernière analyse tous n’en profitent pas de quelque manière. Cet enseignement a pour moyen les études littéraires. Que ces études littéraires puissent se renouveler, se rajeunir, et qu’elles profitent des progrès de l’histoire ou de la philologie, nul ne le conteste. Encore faut-il que les réformes qu’on y introduit soient faites dans un esprit de sympathie, non de suspicion. En cherchant à le modifier, on l’a naguère affaibli et appauvri, et les professeurs de l’Université n’hésitent pas aujourd’hui à répudier des innovations malheureuses : car le mieux qu’on ait à faire, quand on s’est trompé, c’est sans doute de réparer son erreur. L’erreur que découvrent aujourd’hui dans les nouveaux programmes ceux-là mêmes qui sont chargés de les appliquer serait de conséquence autrement grave, puisqu’elle aboutirait, dans un laps de temps peu éloigné, à la ruine totale de l’enseignement secondaire. Si l’on n’y avise, et si l’on ne se ressaisit pendant qu’il en est temps, c’en sera fait d’une supériorité dont personne encore en France n’avait songé à faire bon marché : la supériorité intellectuelle.


RENE DOUMIC.