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chez les jeunes gens uniquement le bon sens (ce qui d’ailleurs est une conception beaucoup trop étroite et timide de l’objet de l’éducation) ? veut-on leur donner uniquement le goût de la vérité (ce qui d’ailleurs revient à amputer la nature humaine, qui ne se passera jamais de nobles, de généreuses et de magnifiques illusions) ? où trouvera-t-on pour développer le bon sens, le sentiment des réalités et le goût du vrai, un procédé meilleur que le commerce intime avec notre littérature classique ? J’avoue encore que l’idée d’autorité n’est guère en faveur aujourd’hui et que celle de tradition nous est suspecte ; mais il appartient aux hommes de pensée de conserver leur sang-froid au milieu de l’engouement universel, et de maintenir contre le courant de la foule les principes qu’ils savent être nécessaires. On ne conçoit même pas une société organisée où l’autorité ne joue quelque rôle ; et, si affamé qu’on soit de progrès, on ne peut méconnaître que la tradition, qui a en elle sa vertu, est en outre la condition même et un des élémens de ce progrès. L’autorité et la tradition auraient encore leur place dans l’éducation quand bien même elles seraient bannies de partout ailleurs, Et par-là encore l’enseignement littéraire se recommande à quiconque aborde avec sérieux et respect le problème de l’éducation.

Comment enfin ne pas être frappé de ce fait qu’au moment où, de gaîté de cœur, nous nous apprêtons à sacrifier l’enseignement des lettres, on s’efforce de le retenir ou de le renforcer dans les nations voisines, dans celles mêmes qui sont aujourd’hui le mieux armées pour la lutte économique et qui nous font sur les marchés du monde une concurrence trop souvent victorieuse. M. Malapert rectifie l’assertion de je ne sais quel rapporteur de commission affirmant qu’en Prusse on a établi l’égalité de sanction entre la Real Schule et le gymnase. C’est le contraire qui est vrai. « Le gymnase est sorti du conflit plus fort qu’auparavant : on ne peut faire ni droit, ni médecine, ni théologie, sans connaissance du latin. » Encore ne s’agit-il ici que de la préparation aux carrières dites libérales. Mais d’après un renseignement que M. Croiset emprunte à un article de M. Bornecque paru dans la Revue universitaire, la fameuse supériorité des Anglo-Saxons trouve dans la formation littéraire classique un auxiliaire dont elle n’a garde de se priver. « Dans des villes industrielles comme Birmingham, tous les Headmasters (directeurs) des écoles industrielles et commerciales considèrent l’enseignement du latin comme le meilleur moyen de former l’intelligence : tous leurs élèves apprennent le latin jusqu’à quatorze ans et le continuent deux années encore dans la