Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 18.djvu/138

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ni vous, n’avez cru la capitulation exécutable. Castaños a voulu sortir d’embarras, et vous, obtenir des conditions qui, bien qu’irréalisables, honorassent votre reddition. Chacun de vous a obtenu ce qu’il désirait, et maintenant la nécessité impose ses lois. » Rien de plus dur n’a été dit au général Dupont. C’était lui donner à choisir entre le rôle de dupe et celui de complice. Le malheureux avait beau multiplier les protestations, rappeler la parole donnée et les signatures échangées. On lui répondait invariablement : « Pourquoi voulez-vous que nous observions les termes d’une capitulation, vous qui n’avez rien respecté, vous qui avez envahi l’Espagne sous le voile de l’alliance et de l’amitié, vous qui avez emprisonné notre roi, vous qui occupez, malgré lui, ses palais et son royaume, vous qui venez troubler notre tranquillité, vous qui apportez dans ce pays pacifique la guerre et l’esprit de conquête. » L’odieuse conduite de l’Empereur envers Charles IV fournissait à nos ennemis un argument terrible, comme un exemple qui leur avait été donné, comme une justification anticipée de leur mauvaise foi.

Des 17 000 hommes qui capitulèrent à Baylen, bien peu devaient revoir la France. Leur sort fut épouvantable. Leurs souffrances nous ont été racontées par plusieurs d’entre eux, officiers, médecins, sous-officiers, soldats. C’est un martyrologe de six années. D’abord l’entassement sur les pontons de Cadix, vieux bâtimens hors d’usage, beaucoup trop petits pour une telle foule. Dans un seul de ces pontons, on empila jusqu’à 1 800 hommes à la fois, couchés comme des porcs les uns sur les autres, sur des planches goudronnées. Pas d’air, des odeurs méphitiques montant du fond de la cale, partout la vermine, à peine quelques gouttes d’eau potable. Pour surcroît de souffrance, une nourriture insuffisante apportée irrégulièrement. Le journal des privations, tenu par une des victimes pendant le premier trimestre de l’année 1809, renferme des détails qui font frémir. Au commencement d’un hiver qui fut très pluvieux, on ne fournit aux prisonniers, ni hamacs, ni couvertures. Lorsqu’il pleut, l’eau filtre dans l’entrepont. Un jour, ils ne reçoivent pas de pain, le lendemain, pas de légumes, le surlendemain, pas de vivres du tout. Il n’y a de régularité que dans leur misère. Aussi d’horribles maladies se déclarent-elles parmi eux. Sans alimens pour réparer leurs forces, sans médicamens, sans soins, ils meurent par milliers, les cadavres s’accumulent. On a commencé