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Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 18.djvu/149

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trop dissemblables sont en présence, chacune emprunte d’abord à l’autre ce qu’elle a de plus laid. Chacune, en suivant ses propres traditions, a fait apparaître dans ses œuvres un caractère original, et cela par un progrès imperceptible et continu, par une suite de variations accumulées et convergentes. Aussitôt reconnu, compris, ce caractère est allé s’affirmant et se précisant davantage. Tant qu’elle s’en tient à ce style qui est le sien, élaboré au cours de son histoire, harmonique à sa nature profonde, à ses conditions de vie, cette civilisation produit du beau. Mais devant les œuvres étrangères, elle est déconcertée ; rien dans ces types qui corresponde à ses propres tendances. Ce qu’elle y va choisir, c’est l’extraordinaire ou le trompe-l’œil, surtout le produit bâtard où le caractère étranger vient s’adapter à ses habitudes et ses besoins spéciaux. Et cela est vrai, même de civilisations complexes et critiques, de style indécis et variable comme la nôtre où passent tant d’idées venues de tant de siècles et de tous les points de la planète. Voyez les « articles japon » que l’on vend dans nos grands magasins, et demandez à un Japonais ce qu’il en pense.


Au bout du champ où les pèlerins campent, un nouvel espace s’ouvre devant nous, et cette fois nous sortons tout à fait du monde des choses connues. C’est l’absurdité d’un rêve qui surgit à nos yeux et nous arrête là dans une minute de stupeur. Une trentaine de kiosques or et argent aux lignes de feu, mais des kiosques hauts de cent pieds, dardant leurs toits qui s’amenuisent en aiguilles. Et ces architectures sont en mouvement ; avec lenteur elles se déplacent au-dessus de la multitude. Çà et là, dans cette folie des choses, vingt bêtes gigantesques se dressent, des éléphans blancs, hauts comme les palmiers d’alentour, des chimères grandes comme des pagodes. A droite un serpent enroulé sur lui-même, dont la spirale érige à vingt mètres une tête affreuse, des yeux morts, une rouge gueule béante.

Et plusieurs de ces monstres se meuvent aussi, à la queue leu leu, d’un progrès stupide, impassible, à la mouvante lueur des torches, dans une clameur, un charivari d’enfer. Il y a une poupée géante au sourire aigu, aux gestes anguleux, au costume rituel de danseuse, et toute blanche. Il y a un prodigieux oiseau vert qui navigue sur la foule et son corps très long, en forme de bateau contient sous un dais une légion d’idoles parées et que je reconnais vivantes : des jeunes filles en tuniques