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Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 18.djvu/302

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Mickiewicz, si, comme on me l’a assuré à Rome, il est enfin parmi vous ; dans ce cas, faites-lui des amitiés de tout le petit couvent de Rome, de Jérôme Kaiziwicz, du comte César Plater, et d’un Russe même qui m’a prié de lui serrer fortement la main, M. Nicolas de Gogol. Je n’ai eu aucune nouvelle de France ni de personne depuis cinq semaines ; je vais en attendre à Lyon de ma mère. Trois jours ici, autant à Lyon je suppose, et le temps des trajets ; je vous arriverai donc un de ces matins du mois finissant. Me voudrez-vous bien loger, chère Madame et amie, à condition de ne pas vous déranger ? de ne pas déranger le travail d’Olivier ni de M. Lèbre ? Si la disposition de la maison est la même, la petite chambre bleue, celle d’où vous me montriez du canapé la Dent de Mordes, ferait bien mon affaire. Je vous reviens plus épris du Léman que jamais ; je suis bien content d’avoir vu l’Italie, Naples et son beau ciel, pour savoir que le beau ciel est le même quasi partout, que le rayon est le rayon, et le Léman un de ces beaux miroirs que nulle comparaison ne ternit. Il faut que j’y vive, que j’y passe régulièrement cinq mois d’été, à l’étude libre, à la pensée, à la poésie, à la solitude, à la tristesse, à l’amitié ; je reviendrai passer l’hiver de sept mois à Paris et y faire le condottiere, le pirate critique infatigable et autant que se pourra équitable. Mais j’aurai mes étés, et les aurai près de vous.

« Nous verrons à arranger tout cela[1]. Aucun adieu donc, mais mille bonjours et à tous nos amis, dont je n’énumère plus les noms, puisque je les vois déjà et les salue de la main. Des baisers aux petits.

« A bientôt et toujours. »


Ce mardi (milieu d’août).

« Votre charmante lettre m’est arrivée hier ; je n’étais que depuis un jour à Paris. En effet, parti le mardi à une heure du matin, je suis arrivé à Besançon le soir et n’ai pu trouver une place de coupé que pour le surlendemain. J’ai dû passer là tout un jour et je l’ai employé à visiter mon ami M. Weill, le bibliothécaire, l’ami de Nodier, le tome premier de Nodier déposé là dès l’enfance, moins doré à la tranche, mais moins tacheté au dedans : charmant et bonhomme, très savant. J’étais installé dans

  1. Hélas ! l’homme propose et Dieu dispose. Sainte-Beuve devenu de plus en plus Parisien, malgré ses prédilections marquées pour la petite patrie vaudoise, ne devait plus revoir le Léman.