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son cabinet à le questionner sur Nodier, quand arrive M. de Gingins ; je me sauve, non sans le voir ; mais que dites-vous, Olivier, de l’âge de M. de Gingins ? Il n’a au plus que trente-huit ans. Il venait lire des manuscrits bourguignons à Dijon. J’ai encore dû passer presque un jour : je suis donc arrivé à Paris dans la nuit du samedi au dimanche. Dès sept heures du matin, j’arrivais chez ma mère en toilette : j’ai été un peu frappé de sa pâleur et de son air plus défait avant sa toilette à elle. Sa chute l’avait affaiblie ; elle va bien maintenant, mais j’ai senti avec tristesse qu’elle était moins verte qu’à mon départ. J’ai repris à l’instant mes habitudes de travail et rouvert mes brouillons de Port-Royal, sur lesquels en ce moment même je vous écris. J’ai peu vu de monde encore. Pourtant Buloz tout d’abord. Je l’ai trouvé très fatigué de santé, très découragé au fond, et ayant quelque raison de l’être. On le fait menacer tous les matins de destitution ; on veut l’effrayer pour éteindre son opposition ; il va avoir une audience du maréchal Soult avant de partir pour chercher sa femme. La littérature est dans la même crise que la librairie ; il y a eu toutes sortes de faillites ; tous les libraires avisés (Gosselin, Renduel) se retirent et ne font plus d’affaires. Enfin c’est une triste perspective, Buloz me l’a déroulée et je la crois peu exagérée. Après tout, les individus s’en pourront toujours tirer par exception, et il nous faut tâcher d’être de ceux-là. Je ferai en sorte qu’il ait lu le Davel avant son départ, quoique cela ne doive servir qu’à ouvrir les voies à la seconde partie qu’il ne pourra lire qu’à son retour ; il part samedi. De mes amis d’ici, je n’ai encore rien à vous raconter, mes chers amis, car je n’en ai vu presque aucun, excepté la belle Mme Gaillard que la maternité a tout à fait couronnée. Mlle Geli, la beauté de la (illisible) a eu ici grand succès quand elle y est venue avec son père : elle se marie chez vous avec un avocat nommé Jacquard. Savez-vous cela ? J’ai mis en ordre les vers et Bonnaire les insérera dans sa Revue de Paris de dimanche. Ainsi, chère Madame, vous n’aurez pas à en entendre parler aux demoiselles Herminie, ni au club Forel, puisque vous ne serez pas à Lausanne. Ici la pièce de L… me fera plus d’obligations que là-bas et pour d’autres causes ; ils ne trouvent plus la dame assez jolie. Et hier, j’entendais décider en pleine Revue qu’elle était décidément trop maigre. C’est ainsi qu’une montagne ou une rivière, ou seulement le pont de Saint-Maurice, renverse toute une moralité. Bien aimable êtes-vous,