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Mais les feuilles des platanes commencent à joncher la Terre ; le bois est semé de précoces violettes ; les chrysanthèmes bourgeonnent : c’est l’automne et la saison des pluies et du veut qui s’annoncent...


Toulon, 29 octobre 1901.

A notre extrême surprise, un ordre nous arrive et nous informe que l’escadre tout entière appareillera demain matin... Il s’agit d’une sortie de trois jours, au plus, affirme l’ordre. Le but, c’est un tir au canon qui aura lieu au large des îles d’Hyères et qui sera suivi d’évolutions et d’exercices de télégraphie sans fil.

Ce tir du canon nous semble prématuré dans l’état d’instruction des nouvelles recrues. Nul ne s’attendait à ce départ, et, comme mon service m’empêche de descendre à terre aujourd’hui, je ne puis aller dire adieu à ma femme. Je viens de lui écrire.

L’ordre de l’amiral prévoit que la durée de la sortie sera de trois jours au plus. Mais chacun pense qu’elle n’excédera pas quarante-huit heures. Dans deux jours, en effet, c’est la Toussaint, une grande fête que l’on passe d’ordinaire au mouillage. Tout porte à croire, par suite, que, le 1er novembre avant midi, nous serons de nouveau à Toulon. Le commandant et sa femme nous ont d’ailleurs invités à dîner avec eux, à terre, ma femme et moi, pour le 1er novembre à sept heures du soir. Il doit être bien renseigné, le commandant.

Et puis, on n’a pas embarqué de bœufs vivans, ni de moutons, ni de volailles, rien. Par conséquent...

Je n’ai pas manqué d’insister sur tous ces détails dans ma lettre à Madeleine. J’ai même trop insisté, comme si je voulais lui cacher quelque chose. C’est que, malgré moi, un doute pénétrait dans mon esprit à mesure que j’écrivais. Ce départ était si imprévu ! Et puis, cette fameuse créance Lorando, dont la presse, comme si elle était payée pour cela, ne cesse de s’occuper... M. Constans, notre ambassadeur, qui a quitté Constantinople depuis deux mois bientôt, sans qu’il soit question de son retour !...

Mais non, nous ne partirions pas ainsi sans préparation, sans être prévenus, sans pouvoir dire adieu à nos familles.


En mer, 31 octobre 1901.

Eh bien ! si, nous sommes partis de cette façon, partis sans