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Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 18.djvu/501

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Les circonstances n’étaient pas favorables. Une petite pluie tombait glacée. Le vent d’Est, qui soufflait depuis le matin, augmentait peu à peu en force, et la surface de la mer, verte sous les nuages noirs, était creusée par une longue houle dont les crêtes blanches mouillaient les sabords de leurs bavures.

Pourtant, le tir fut moins mauvais que je ne l’aurais cru. Surtout il fut rapidement conduit. A onze heures et demie, il était terminé sur toute notre ligne, et chaque navire avait repêché ses deux buts. Alors l’escadre légère demeura stoppée, balancée par la houle qui se creusait de plus en plus, et l’exercice de télégraphie sans fil commença.

A une heure, il cessait brusquement, et nous aperçûmes au loin trois gros cuirassés qui, couverts de fumée, se dirigeaient vers nous à toute vitesse. C’étaient le Saint-Louis, le Gaulois, le Charlemagne. Au sommet du grand mât du Saint-Louis, des pavillons s’effilochaient déchirés par le vent. Ces pavillons avaient pour signification : « Ralliement pour l’escadre légère. »

L’amiral Gaillard, à bord du Pothuau, répète l’ordre à son escadre légère, et celle-ci, se rangeant en ligne de file derrière le Pothuau, se jette dans l’Ouest à la rencontre des cuirassés.

Tandis que s’opère la jonction, d’autres signaux montent aux mâts du Saint-Louis et semblent le pavoiser de l’arrière à l’avant, comme en un jour de fête :

« Division des croiseurs cuirasses, placez-vous à gauche de la 1re division : Linois, Espingole, Épée, prenez poste à l’extrême gauche. »

Nos deux groupes font demi-tour et, prenant les postes assignés, forment maintenant, avec la 1re division, trois colonnes qui s’avancent vers l’Est.

La première colonne, celle de droite, comprend les trois majestueux cuirassés : Saint-Louis, Gaulois, Charlemagne ; la deuxième, trois croiseurs cuirassés : Pothuau, Faidherbe, Chanzy ; la troisième, le croiseur protégé Linois, suivi des deux contre-torpilleurs Espingole, Épée.

Encore un signal, motivé par le mauvais état de la mer :

« Diminuez la vitesse jusqu’à 8 nœuds. »

Plus rien ensuite pendant trois quarts d’heure environ.

Depuis que la vitesse générale a été réduite, les cuirassés, superbes d’allure, bougent à peine ; les croiseurs cuirassés tanguent mollement, et des lames transparentes, en minces nappes,