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Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 18.djvu/520

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militairement et ajouta, en français : « Salut, mon capitaine. » Je remarquai :

— Vous parlez très bien le français.

— J’ai habité Tunis, expliqua-t-il.

— Vous faites la théorie en ce moment ?

— Non, mon capitaine, c’est aujourd’hui vendredi ; nous causons en regardant votre beau navire.

— Mais, quand le Faidherbe est entré en rade, vous étiez déjà à vos pièces, alignés comme pour un exercice.

Il répondit :

— Nous ne faisions pas l’exercice ; nous étions là pour saluer si vous aviez salué...

Et, plus bas, il ajouta :

— ... Et pour mourir, si vous aviez tiré.

Je le regardai d’un air faussement naïf, comme si je ne comprenais pas ; puis, avec un sourire, je lui tendis la main. Il l’effleura de ses doigts et, à la façon orientale, la baisa.

Pauvres et braves soldats, si disciplinés !

Superbes ruines de la vieille citadelle, plus dignes d’attirer l’admiration d’un touriste que la froide colère d’une nation civilisée ! Que de regrets j’aurais, s’il nous eût fallu employer la force contre tant de courage abrité derrière autant de faiblesse !

Je remerciai le capitaine et je quittai la forteresse.

Dans la rue, je rejoignis le commandant, qui, avec son cortège, augmenté d’une personne, sortait du bureau télégraphique. Il avait envoyé à l’amiral ce simple télégramme en clair :

« Bien arrivés Sigri. Tout bien. »

Et, en payant exactement le prix du télégramme, il avait, paraît-il, surpris et rassuré à la fois le buraliste, qui tout d’abord l’avait accueilli en tremblant.

Maintenant, il escortait aussi le commandant, ce buraliste. Un sourire obséquieux et béat régnait sur son visage doux et triste de victime où la petite vérole avait laissé des traces profondes. Il s’était aimablement chargé de conduire le commissaire auprès du Kaïmakan, que la fièvre tenait au lit, mais qui, malgré ses souffrances, serait d’autant plus heureux de s’occuper de l’alimentation de notre équipage qu’il était propriétaire d’un vaste troupeau de moutons, — celui, sans doute, que nous avions vu paître des cailloux sur l’île Sigri.

Avec le commandant et le marin télégraphiste, nous rentrâmes