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— Pour se battre avec les Turcs, qu’on dit.

C’est ainsi que Madeleine apprit qu’elle ne devait plus m’attendre en ce jour de la Toussaint…


Samedi 30 novembre 1901. — Syra (Grèce).

On prétendait qu’au bout de dix jours nous partirions pour Toulon. En voici vingt que nous sommes à Syra, et rien ne fait entrevoir le départ.

Évidemment, nous allons rester ici quelque temps encore, ne serait-ce que pour donner satisfaction à l’opinion publique, bien que notre mission soit terminée et que les relations diplomatiques entre la France et la Turquie aient été renouées depuis le 10 novembre.

D’après les journaux que nous lisons au « Cercle de l’Union, » nous constatons, en effet, que l’on a été très désappointé en France en apprenant que nous avions sitôt rendu le gage saisi. Pourtant, à moins que nous n’eussions voulu garder définitivement Mytilène, — projet d’un intérêt discutable d’ailleurs, — n’était-il pas plus loyal, plus économique et plus sage de partir dès que nous avions obtenu toutes les satisfactions désirables ?

Évidemment, avec un peu de mauvaise foi, facilement justifiable par notre longue patience antérieure, nous aurions pu temporiser. Mais toute temporisation, qui n’aurait pas eu pour but une possession définitive, eût été nuisible à notre rôle en Orient. Un plus long séjour de nos troupes n’aurait pas tardé, en effet, à diviser les esprits dans l’île ; il aurait créé en notre faveur un parti dominateur ; sans combats apparens, il y aurait eu des luttes journalières entre chrétiens et musulmans, des vainqueurs et des vaincus. Et les vainqueurs de la veille, nos protégés confians, auraient payé cher leur passagère victoire, dès que nous serions partis, ainsi qu’il est arrivé si souvent dans nos expéditions coloniales. Dans cette défaite morale, notre bon renom aurait péri ; tout le fruit de notre énergie aurait été perdu.

Quant à une possession définitive de cette île, isolée, située en dehors des grandes routes maritimes, loin de nos intérêts, comment la justifier, puisque nous n’avions rencontré aucune résistance matérielle ou morale, et que nous avions obtenu tout ce que nous désirions ?

Et je ne parle pas ici des dépenses inutilement occasionnées,