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rhétorique, qui assimile la décision des Chambres au couperet de l’exécuteur, sans doute parce qu’elle tranche souverainement le sujet débattu[1].


Eh ! non : nous n’avons plus la Convention nationale, et nos deux Chambres, même réunies, ne font plus trembler que les bons Français. Nous n’avons, à la place des « grands comités de Salut public et de Sûreté générale, » que de petits comités, que le Convent et le Congrès. La guillotine n’est plus dressée chaque matin : mais M. Combes se trompe quand il affirme que la guillotine est une « partie intégrante du gouvernement révolutionnaire. » La guillotine, sèche ou sanglante, n’est pas la charpente, l’ossature du régime jacobin : elle n’en est qu’un accessoire. Elle n’en fait pas le fond, l’essence et la substance. Il y a jacobinisme sans qu’il y ait guillotine : chacun est Jacobin selon sa taille, et chacun avec son instrument, qui avec un bistouri et qui avec un canif. Mais le caractère distinctif et la marque commune du jacobinisme, c’est, dans la défaillance, la carence ou l’absence des pouvoirs constitués, l’usurpation audacieuse de l’Etat par des pouvoirs qui se constituent spontanément ; et c’en est l’usurpation pour l’exploitation ; l’ardente poursuite des honneurs et des emplois. Bien sûr, le jacobinisme d’aujourd’hui n’est plus tout à fait le même que le jacobinisme d’il y a un siècle : il est moins dogmatique, il croit moins à l’expansion des principes en tant que principes, il est élégamment mêlé de jouissance et de mystification : nouveau jeu, modern style, et, pour tout dire, un peu « à la blague, » c’est un néo-jacobinisme. Il s’est humanisé, en ce qu’il ne tue plus ; surtout il s’est légalisé, comme le reste, comme toute chose, comme la révolution elle-même ; et il ne tue plus, parce qu’il n’a plus besoin de tuer. Son objet est toujours la conquête de l’État ; mais il n’a plus à conquérir par la force l’État qui se conquiert par le nombre, et la conquête s’adoucit en acquisition[2]. Pour s’emparer de l’Etat, il n’a qu’à s’emparer du suffrage universel, et, pour s’emparer du suffrage universel, il n’a qu’à, accaparer les moyens de le prendre et de le tenir. Comme le gouvernement, dès que le jacobinisme est formé et développé en régime, n’est plus dans le gouvernement, quand ce sont les douze

  1. Discours prononcé, le 13 septembre 1903, par M. Emile Combes, au banquet démocratique de Tréguier. — Journal officiel du 15, p. 5777.
  2. Est-ce le but vers lequel M. Combes oriente le Bloc, quand il invite « les républicains » à rester « unis pour profiter de la victoire ? » — Séance de la chambre du 22 octobre.