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les Européens qui gouvernent. Ils ne pourront jamais prendre en mains leur propre salut, et ils seront forcés d’accepter une tutelle étrangère. » Des Chinois qui travaillent, des Européens qui gouvernent et, il faudrait ajouter, des indigènes de races diverses qui payent et qui sont opprimés, voilà le tableau vrai que cache le vernis très friable de civilisation et d’ordre, dont l’habileté des princes du Siam a su farder l’incurable caducité et la radicale impuissance d’un prétendu peuple qui n’est qu’une oligarchie corrompue.


II

Des épisodes brillans, qui tranchent sur la monotonie des longues périodes de tâtonnement et de faiblesse, des épées qui flamboient un instant pour rentrer bien vite au fourreau, de brusques et coûteux efforts, qui semblent manquer de souffle et qui, faute de persévérance, n’aboutissent qu’à des résultats incomplets, c’est l’histoire de l’expansion coloniale française, entravée par nos querelles intérieures et l’instabilité de notre vie parlementaire : c’est notamment l’histoire de nos relations avec le Siam. De l’offre spontanée d’un protectorat, au milieu du XIXe siècle, elle aboutit, au commencement du XXe, à l’éviction presque complète de notre influence à Bangkok.

Le gouvernement de Napoléon III, fidèle aux principes du libéralisme économique dont le refus d’annexer des terres nouvelles est la conséquence logique, n’eut pas, à vrai dire, de politique coloniale ; ce n’est que l’enchaînement des circonstances, le souci de ne pas faire reculer le pavillon une fois engagé, qui permit à l’énergique initiative des amiraux d’établir la domination française en Cochinchine et au Cambodge. Mais le décousu des opérations militaires et diplomatiques, l’absence de vues d’ensemble et d’esprit de suite chez les ministres de l’Empereur firent commettre, aux premières heures de la prise de possession, des erreurs graves qui, aujourd’hui encore, pèsent lourdement sur les destinées de nos colonies. En 1856, le roi de Siam, inquiet des progrès des Anglais dans la Birmanie maritime et la presqu’île de Malacca, comprenant aussi son impuissance à créer un État fort sans l’assistance d’un gouvernement européen, demanda a placer son royaume sous la haute protection de la France. La diplomatie impériale, indifférente aux succès