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Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 18.djvu/585

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coloniaux, laissa passer l’occasion. La protection de nos nationaux et l’occupation de quelques ports d’où notre commerce, nos voyageurs, nos missionnaires pourraient pénétrer jusque dans le Céleste-Empire, c’est tout ce qu’elle cherchait à s’assurer en Extrême-Orient : elle l’obtenait en ratifiant, après de longues hésitations qui faillirent remettre en question le résultat, le traité signé, le 4 juin 1862, à Saigon, entre l’amiral Bonard et l’empereur d’Annam, Tu-Duc. Nous étions désormais les maîtres des bouches du Mékong, dont la mission Doudart de Lagrée et Francis Garnier n’allait pas tarder à remonter le cours.

L’établissement, dans la Cochinchine, d’une puissance nouvelle, la France, avait aussitôt provoqué des espérances de salut chez tous les peuples opprimés. Le Cambodge, faible débris de l’ancien empire kmer, luttait à grand’peine contre la double invasion des Siamois et des Annamites ; douces et pacifiques, les populations du petit royaume subissaient l’hégémonie de plus en plus détestée des Siamois, qui leur imposaient des mandarins, mettaient le pays en coupe réglée et transplantaient en masse ses habitans. Aussi le roi Norodom et ses sujets acceptèrent-ils avec satisfaction le traité du 11 août 1863 et le protectorat français. Vaincus à Pnom-Penh, par la fermeté de Doudart de Lagrée, les agens du Siam furent plus heureux à Paris : secrètement soutenus par la Grande-Bretagne, ils revendiquèrent très haut les droits de leur souverain sur le royaume de Cambodge et particulièrement sur les provinces de Battambang et d’Angkor (Siem-Beap), riveraines du Tonlé-Sap, que lui avait cédées un prétendant révolté contre le roi légitime du Cambodge. Le traité du 15 juillet 1867 prit malheureusement au sérieux les prétentions de la cour de Bangkok et, moyennant la reconnaissance du Protectorat français sur le Cambodge, admit que les deux provinces resteraient au royaume de Siam.

A l’origine de tous nos démêlés avec le Siam, on trouve ce traité de 1867 ; il est le prototype de ces traités coloniaux, négociés et signés à Paris, qui portent la trace des ignorances des bureaux qui les conclurent et qui ne tiennent compte ni des nécessités géographiques, ni des aspirations légitimes des populations. Si l’on avait alors pris en considération les rapports des hommes qui connaissaient le pays, ceux notamment de Doudart de Lagrée, l’on eût évité la néfaste erreur qui nous faisait commencer notre œuvre de protectorat en consacrant une spoliation