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absolument injuste, en renonçant, en dépit des réclamations de nos protégés, à deux provinces entièrement cambodgiennes par leur population, riches, fertiles et où se dresse cette fameuse pagode d’Angkor, dernier témoin de la grandeur passée des Kmers, symbole visible de leur existence nationale. Nous portons encore le poids de cette faute : lors des événemens de 1893, le roi Norodom ne manqua pas de faire entendre ses revendications qui reçurent un commencement de satisfaction, puisque les deux provinces en litige furent placées sous un régime spécial ; et l’une des raisons qui provoquèrent un vif mouvement d’opinion contre le traité du 7 octobre 1902, fut précisément que l’un de ses articles replaçait ces deux provinces sous l’autorité du Siam. En diplomatie, pas plus qu’en affaires, erreur n’est compte ; et si la France mal informée de 1867 a reconnu au Siam des droits sans fondement, il appartient à la France mieux informée de 1903, de réparer l’injustice dont elle a été la complice ignorante. Ce qui est en jeu dans une pareille question, ce n’est pas seulement le sort de deux provinces ; c’est le renom même de la France ; c’est l’opinion qu’auront d’elle les indigènes qu’elle protège ; c’est l’influence et l’autorité qu’elle exercera sur eux. Si nous voulons vraiment avoir une politique indigène, — et l’avenir de nos colonies est à ce prix, — il faut commencer par soutenir les plus légitimes intérêts des peuples que nous avons assumé la tâche de gouverner.

L’amiral de la Grandière, et tous les premiers ouvriers de notre expansion asiatique croyaient trouver, dans le Mékong, la route de ce Yannan que l’on se représentait comme l’une des plus riches provinces de l’empire du Milieu ; l’exploration du capitaine de frégate Doudart de Lagrée et de Francis Garnier dissipa l’illusion. La voie du Fleuve Rouge, infiniment plus courte et plus facile, apparut désormais comme la seule praticable. Les Français, en 1882, occupèrent Hanoï et le delta. Mais, tandis qu’à tâtons, nos colonnes s’enfonçaient dans les montagnes du Haut-Tonkin, l’audacieuse habileté des Siamois, stimulée et dirigée par des encouragemens européens, profitait de l’émoi suscité, dans tout le Laos, par l’apparition des Français, pour lancer en avant, dans la direction de l’Est, des petits postes militaires et des mandarins, avec mission, non seulement de nous devancer sur le Haut-Mékong, mais encore de nous en interdire les approches, et de revendiquer, comme siamoise, toute la zone montagneuse