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des steppes de Melou-prey et du pauvre « royaume » de Bassac, payés par les plus onéreuses concessions ! Et si l’on se souvient qu’en Extrême-Orient, perdre une province est peu de chose si l’on sauve la face, l’on se rendra compte de la différence des deux politiques et l’on comprendra comment les Anglais peuvent être tout-puissans à Bangkok, y entretenir, sous prétexte d’aider le roi de Siam à faire la police, une véritable garnison de 1 500 Sikhs, y obtenir, pour leurs nationaux, tous les avantages qu’ils peuvent souhaiter et mettre la main, en même temps, sur les principautés siamoises du Malacca. Le secret de leur succès, c’est qu’ils ont agi comme puissance asiatique ; ils ont eu une politique indienne ; ils se sont servis des Sikhs, sans jamais exhiber un uniforme européen ; contre les Siamois, ils se sont posés en protecteurs des Malais opprimés, en même temps qu’au Siam, ils se posaient en défenseurs de l’indépendance nationale en face des ambitions menaçantes des Français. En même temps, de Singapour par le Sud, de Xieng-tong par le Nord, ils accaparaient tout le commerce. Politique indigène, procédés « asiatiques, » influence commerciale, voies ferrées : voilà la méthode qu’ils ont appliquée avec un admirable esprit de suite. Il nous reste à constater que ces moyens sont à notre portée et que ce sont précisément les mêmes qui peuvent nous assurer des avantages de même nature. N’avons-nous pas, nous aussi, un empire indo-chinois, vingt millions de sujets, une armée indigène, des chemins de fer à construire et des races opprimées qui réclament protection ?


V

Considérer les grands cours d’eau comme des frontières naturelles, les croire prédestinés à séparer des États et des populations différentes, c’est, parmi les sophismes géographiques les mieux accrédités, l’un de ceux qui trouvent audience auprès de la diplomatie. Les fleuves sont, au contraire, des centres d’attraction, des foyers de vie ; presque toujours, d’un bord à l’autre, les relations et les échanges sont continuels et la communauté des intérêts aide les populations riveraines à se rapprocher, à se pénétrer, à se fondre. Il en est ainsi du Mékong. Loin de former une limite naturelle entre le Laos français et le royaume de Siam, il est, au milieu d’un pays qui ne manque que de population