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Il s’était passé précisément le contraire au XVIIe siècle. On n’avait guère vu que les défauts du cardinal, qui crevaient tous les yeux. La mauvaise fortune avait redoublé sa rapacité. Mazarin avait gardé sur le cœur de s’être trouvé sans argent lors de son expulsion du royaume. Il s’était juré qu’on ne le prendrait plus sans vert, et il travaillait depuis son retour à mettre des millions en lieu sûr. Tous les moyens lui étaient bons pour se constituer cette espèce de trésor de guerre. Il vendait depuis les plus hautes fonctions de l’État jusqu’aux places de « lavandière » chez la reine. Il partageait les bénéfices avec les corsaires auxquels il donnait des lettres de marque. Il se chargeait à forfait des services publics, empochait l’argent, et laissait nos ambassadeurs sans traitement, nos vaisseaux et nos fortifications sans entretien. L’armée criait la faim et la soif depuis qu’il s’était fait son « vivandier » et son « munitionnaire ; » il lui donnait du pain au rabais et trouvait le moyen, prétendaient les courtisans, de faire payer au soldat, si rarement payé lui-même, jusqu’à l’eau qu’il buvait. Turenne fit une fois briser sa vaisselle plate pour en distribuer les morceaux à ses troupes, qui périssaient de misère. Des scènes de comédie se mêlaient à ces drames. Bussy-Rabutin, qui servait dans l’armée de Turenne, avait été heureux au jeu. Le cardinal en eut vent. Il fit dire à Bussy qu’il gardait sa solde, qu’il s’était associé à son jeu, et que la solde représentait sa part de gain.

Il avait étendu son trafic à la maison royale. C’était lui qui la fournissait de meubles ou de vaisselle. Il avait l’entreprise des deuils de Cour, celle des fêtes ; quand le roi dansait un ballet, son premier ministre gagnait sur les décors et les accessoires. Les comptes de ménage lui passaient par les mains. Pendant la campagne de 1658, il supprima le cuisinier du roi, afin de s’approprier ce qu’aurait coûté la table. On vit Louis XIV réduit à s’inviter à dîner chez l’un ou chez l’autre. Mazarin lui prenait jusqu’à son argent de poche, et le jeune monarque se laissait faire, avec une patience qui était pour son entourage un perpétuel sujet d’étonnement. Sa mère n’était ni mieux traitée, ni moins soumise.

Le cardinal était aussi jaloux de son autorité que de son argent. Le roi n’avait voix au chapitre sur rien ; quand il se permettait d’accorder une grâce, si légère fût-elle, son premier ministre la révoquait en « le gourmandant comme un écolier[1]. »

  1. Monglat.