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Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 18.djvu/616

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au milieu d’une leçon pour lui faire cadeau « de trois lettres que Catherine de Médicis écrivait à Henri III, son fils, pour son éducation[1]. » Péréfixe prit les lettres et en donna lecture, le roi l’écoutant « avec beaucoup d’attention. » L’une d’elles était tout un mémoire[2]. Catherine y donnait à son fils le même précepte que Péréfixe à son élève : un roi doit « régner, » c’est-à-dire faire les fonctions de son titre. Pour « régner, » il faut se mettre au travail sitôt éveillé, lire toutes les dépêches et ensuite les réponses, parler soi-même à ses agens, se faire rendre compte chaque semaine des recettes et des dépenses ; ainsi de suite du matin au soir et tous les jours de la vie. C’était un programme de forçat du pouvoir. Louis XIV en fit le sien dans le fond de son âme ; il n’avait pas encore treize ans.

Ces belles résolutions étaient cependant destinées à rester lettre morte tant que Mazarin vivrait. Elles ne pouvaient s’exécuter qu’au détriment de son autorité, et l’idée d’entrer en lutte avec le cardinal répugnait au jeune roi, moitié vieille affection d’enfance, moitié timidité et habitude de l’obéissance. Louis XIV y avait songé, et il tint plus tard à ce qu’on le sût, mais il avait été content de se trouver de bonnes excuses pour laisser aller les choses. Il explique dans ses Mémoires qu’il fut arrêté par la raison politique : il avait trop de bon sens, tout jeune qu’il fût, trop d’expérience aussi, quelque étrange que paraisse le mot appliqué à un enfant élevé aussi sottement, pour ne pas discerner les dangers d’une révolution de palais dans l’état où les troubles civils avaient laissé la France. A défaut de la science que l’on puise dans les livres, Louis XIV avait eu les leçons de choses de la Fronde : les émeutes et les barricades, les discours véhémens du Parlement à sa mère, les fuites humiliantes avec la Cour, les temps de misère où ses domestiques n’avaient pas à dîner et où lui-même couchait dans des draps percés et portait des habits trop courts, les batailles où ses sujets tiraient sur lui, les trahisons de ses proches et de sa noblesse et leurs marchandages honteux. Rien de tout cela n’avait été perdu pour le jeune roi. L’ordre rétabli à la surface, il sut voir combien la situation demeurait troublée dans le fond, combien précaire, et il

  1. Fragmens des Mémoires inédits de Dubois, valet de chambre de Louis XIV. Publiés par Léon Aubineau dans la Bibliothèque de l’École des Chartes et dans ses Notices littéraires sur le XVIIe siècle.
  2. Cf. Lacour-Gayet, p. 203.