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Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 18.djvu/617

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jugea prudent de différer ce qu’il « souhaitait et... craignait tout ensemble, » disent nettement ses Mémoires[1].

Il discute si ce fut une faute. « Il faut, dit-il, se représenter l’état des choses : des agitations par tout le royaume avant et après ma majorité ; une guerre étrangère où ces troubles domestiques avaient fait perdre à la France mille avantages ; un prince de mon sang et un très grand nom à la tête de mes ennemis ; beaucoup de cabales dans l’État ; les Parlemens encore en possession et en goût d’une autorité usurpée ; dans ma Cour, très peu de fidélité sans intérêt, et par là mes sujets en apparence les plus soumis, autant à charge et à redouter pour moi que les plus rebelles. » Était-ce le moment d’exposer le pays à de nouvelles secousses ? Louis XIV était resté convaincu[2] du contraire, tout en avouant qu’il trouvait dès lors bien à reprendre aux façons de faire de Mazarin, « un ministre, poursuivait-il, rétabli malgré tant de factions, très habile, très adroit, qui m’aimait et que j’aimais, qui m’avait rendu de grands services, mais dont les pensées et les manières étaient naturellement très différentes des miennes, que je ne pouvais toutefois contredire ni discréditer sans exciter peut-être de nouveau contre lui, par cette image quoique fausse de disgrâce, les mêmes orages qu’on avait eu tant de peine à calmer. »

Le roi avait aussi à tenir compte de son extrême jeunesse et de son ignorance des affaires. Il raconte à ce propos son ardent désir de gloire, sa peur de mal débuter, car on ne s’en relève pas, son attention à suivre les événemens, « en secret et sans confident, » sa joie quand il découvrait que « les gens habiles et consommes, » partageaient sa façon de voir. Tout considéré, n’y avait-il pas de quoi être « pressé et retardé presque également » dans son dessein de prendre « la conduite de son État ? »

Cette page curieuse n’a d’autre défaut que d’avoir été dictée par un homme fait, dans l’esprit duquel les choses ont pris une netteté qu’elles n’avaient pas chez l’adolescent, et qui croit se rappeler des volontés là où il n’y avait eu que des velléités. Louis XIV serait impardonnable si l’on n’en rabattait de ses Mémoires. Pourquoi, s’il y voyait si clair, avoir rechigné à toute espèce de travail ? A seize ans, Mazarin lui avait fixé des jours pour assister au Conseil. Le roi s’y ennuyait. Il s’en allait, et on le retrouvait causant du prochain ballet ou jouant de la guitare

  1. Mémoires de Louis XIV.
  2. M. Dreyss place la rédaction de cette partie des Mémoires vers 1670.