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précipitait avec des cris de joie vers un carrosse dont elle avait reconnu la livrée. C’était la Grande Mademoiselle, retour d’exil, qui venait prendre possession du Luxembourg, où son père lui donnait un logement, sentant bien qu’il n’y reviendrait jamais. Les deux étrangers notèrent dans leur Journal de Voyage[1] que les Parisiens portaient une « affection particulière » à cette princesse, parce qu’elle s’était conduite en « vraie amazone » pendant la guerre civile. On les avait bien renseignés. Mademoiselle était restée populaire à Paris, où l’on se souvenait toujours de ses exploits pendant la Fronde et de sa belle tournure à la tête de son régiment.

Elle ne fit guère que passer, ayant des affaires à régler en province. A son retour définitif, le 31 décembre, la Cour et la ville s’écrasèrent chez elle. Le Luxembourg fut plusieurs jours sans désemplir, après quoi, quand le monde eut constaté que Mademoiselle « n’avait plus sur le visage la fraîcheur des roses nouvellement épanouies[2], » sa curiosité fut satisfaite et il s’occupa d’autre chose. Elle-même avait fort à faire. L’idée d’épouser le petit Monsieur ne la quittait plus depuis Sedan. On lui assurait qu’il en mourait d’envie, et Mademoiselle répondait naïvement qu’elle s’en apercevait bien : « Cela ne me déplaisait pas, ajoute-t-elle. Un jeune prince, beau, bien fait, frère du roi, me paraissait un bon parti pour moi. » Dans l’attente de leurs fiançailles, elle ferma l’heureuse parenthèse de Saint-Fargeau, où elle avait aimé le travail et l’intelligence, pour se faire la camarade d’un enfant uniquement adonné aux plaisirs de son âge, et passa l’hiver à danser, à se déguiser, à courir les promenades et les baraques de la foire Saint-Germain[3]. Le public remarquait que le petit Monsieur paraissait « peu gai » avec sa grande cousine, qu’il « ne se peinait guère à l’entretenir[4], » et qu’il lui aurait préféré d’autres compagnes, mieux assorties à ses dix-sept ans. Mademoiselle ne s’apercevait de rien.

Philippe, duc d’Anjou, avait une figure de bellâtre sur un petit corps rondelet. Il ne manquait pas d’esprit, n’avait aucune méchanceté, et aurait pu faire un gentil prince sans la raison

  1. Journal du voyage de deux jeunes Hollandais à Paris (1656-1658).
  2. Mémoires de Mme de Motteville.
  3. La foire Saint-Germain se tenait entre Saint-Sulpice et Saint-Germain-des-Prés, depuis le 3 février jusqu’à la veille des Rameaux. La Cour s’y pressait et y coudoyait la populace.
  4. Journal... de deux jeunes Hollandais.