Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 18.djvu/618

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avec ses familiers. Mazarin dut gronder pour le faire rester au Conseil. A force de baguenauder, il n’aimait plus que cela, et il y eut de la paresse dans sa résolution de laisser faire son ministre.

La Cour avait son opinion faite ; elle tenait le jeune roi pour incapable d’application. On avait aussi décidé qu’il manquait d’esprit, et en cela l’on ne s’était pas trompé. Lui-même ne se faisait aucune illusion et disait avec simplicité : « Je n’ai pas d’esprit. » La jeunesse libertine qui l’entourait, et que gênait son air grave, ne cachait pas qu’elle le trouvait ennuyeux, comme devait le faire Mme de Maintenon un demi-siècle plus tard. Les Guiche et les Vardes le croyaient voué à l’insignifiance, et ils ne s’en affligeaient que médiocrement.

La ville était moins convaincue de sa nullité, peut-être parce qu’elle en aurait pris moins aisément son parti. Paris commençait à avoir la terreur des princes auxquels, pour une raison ou pour l’autre, il faut des premiers ministres, et la bourgeoisie parisienne était à l’affût de toute preuve d’intelligence chez son jeune monarque. « On dit que l’esprit du roi s’éveille, écrivait Guy Patin en 1654 ; Dieu le veuille. » Cette première lueur n’ayant pas eu de suites apparentes, Paris admira, en attendant mieux, la bonne mine du souverain. « J’ai vu aujourd’hui le roi qui s’en allait à la chasse, écrivait encore Guy Patin quatre ans plus tard. C’est un beau prince, fort et robuste ; il est grand et a bonne grâce ; c’est dommage qu’il ne sait pas son métier[1]. » On vantait aussi son air sérieux, son éloignement pour la débauche sous toutes ses formes, et la modestie qui lui faisait répondre bravement, devant toute la Cour, à une question sur la pièce nouvelle : « Je ne juge jamais de ce que je ne sais pas[2]. » Ce n’était pas la réponse d’un sot.

En somme, comme il était très froid, très dissimulé, qu’il parlait peu, par calcul autant que par goût, et presque uniquement de bagatelles, cet adolescent sur qui toute la France avait les yeux fixés restait un inconnu pour ses sujets.


III

Le 18 septembre 1657, deux étrangers qui traversaient le Pont-Neuf se trouvèrent pris dans une bousculade. La foule se

  1. Lettres du 9 juin 1654 et du 9 avril 16S8.
  2. Segraisiana, Louis XIV avait dix-sept ans lorsqu’il fit cette réponse.