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rangs. Depuis la rentrée triomphale de Mazarin, en 1653, jusqu’à sa mort en 1661, il y eut à la Cour une sorte de laisser aller universel, qui surprenait les anciens Frondeurs à leur retour d’exil. Le jeune monarque provoquait lui-même aux familiarités, aux manquemens à l’étiquette. Ce changement était l’œuvre des nièces du cardinal, qui y trouvaient leur compte, puisque Marie, la troisième des Mancini, allait bientôt toucher la couronne du bout du doigt. Mademoiselle eut de la peine à s’habituer aux nouvelles manières avec le roi. « Pour moi, dit-elle, qui ai été nourrie dans un grand respect, cela m’étonnait, et j’ai été longtemps sans m’accoutumer à en user ainsi. Mais quand j’ai vu que les autres le faisaient, et que la reine m’eût dit un jour que le roi n’aimait point les cérémonies... lors je le fis ; car sans cela, les fautes des autres ne m’en auraient pas fait commettre. » Le Louis XIV pompeux des portraits à grandes perruques n’existait pas encore, et le Louvre de 1658 ne ressemblait guère au Versailles fastueux et formaliste que Saint-Simon a connu[1].

Le laisser aller s’étendait aux mœurs. Nombre de femmes de qualité se conduisaient mal, quelques-unes prêtaient au soupçon de vénalité, et ni l’un ni l’autre n’était une nouveauté ; mais le vice s’encanaillait, et c’est de quoi les personnes fières, comme Mademoiselle, ne pouvaient prendre leur parti. Quand on venait lui conter que la duchesse de Châtillon, fille de Montmorency-Boutteville, recevait de l’argent de l’abbé Fouquet et en essuyait des scènes de laquais, jusqu’à lui casser un jour ses miroirs à coups de pied, elle était révoltée. « C’est une étrange chose, écrivait-elle, que la différence des temps ! Qui aurait dit à l’amiral de Coligny : « La femme de votre petit-fils sera maltraitée par l’abbé Fouquet, » il ne l’aurait pas cru, et il n’était nulle mention de ce nom-là de son temps. » Dans l’esprit de Mademoiselle, qui en avait vu tant d’autres, c’était surtout la basse naissance de l’abbé qui aurait affecté l’amiral : « Quoi que l’on puisse dire, ajoutait-elle, je ne saurais jamais croire que les personnes de qualité s’abandonnent au point que les médisans le disent. Car quand on n’aurait pas son salut en vue, l’honneur du monde est, à ma fantaisie, une si belle chose, que je ne comprends pas comme on peut le mépriser. » Mademoiselle ne transigeait pas

  1. Il ne faut jamais oublier que Saint-Simon a été présenté à la Cour en 1692. Louis XIV avait alors cinquante-quatre ans, et il y en avait quarante-neuf qu’il était sur le trône. Saint-Simon n’a connu que la vieillesse du règne.