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sur le respect dû à la hiérarchie du rang ; pour le reste, elle s’en tenait à ce qu’on est convenu d’appeler la morale des honnêtes gens, qui a toujours autorisé de grandes indulgences.

Elle savait cependant toute la différence de cette morale-là d’avec la morale chrétienne. Les Provinciales (1656) venaient de faire comprendre aux plus étourdis qu’il fallait choisir entre les deux. Mademoiselle était allée, sous leur influence, visiter le Port-Royal-des-Champs[1], et en était revenue entièrement gagnée à ces « gens admirables » qui vivaient comme des saints, et qui parlaient et écrivaient « avec la plus belle éloquence, » tandis que les Jésuites auraient mieux fait de se taire, n’ayant rien de bon à dire et le disant mal : « Car assurément il n’y eut jamais moins de prédicateurs qu’ils en ont parmi eux, ni moins de bonnes plumes, et il y paraît par leurs lettres. C’est pourquoi, par toutes sortes de raisons, ils eussent mieux fait de n’écrire pas. » La voyant si chaude pour les siens, l’un des messieurs de Port-Royal, Arnauld d’Andilly, lui avait dit comme elle repartait : « Vous vous en allez à la Cour ; vous pourrez rendre compte à la reine de ce que vous avez vu. — Je l’assurai que je le ferais très volontiers. » De l’humeur dont nous la connaissons, nul doute qu’elle n’ait tenu parole ; mais ce fut tout. L’honnête Mademoiselle, incapable pour son compte d’une chose vilaine ou basse, ne songea pas une seconde à faire intervenir l’austère morale janséniste, mal appropriée aux besoins de la vie de Cour, dans ses jugemens sur autrui et le choix de ses amitiés. Elle blâma la duchesse de Châtillon pour des raisons où la vertu proprement dite n’avait rien à voir ; nous la verrons bientôt accueillir Mme de Montespan, parce que la morale des honnêtes gens n’avait rien à redire aux maîtresses de rois. Mme de Sévigné pensait comme Mademoiselle, et elles n’étaient pas les seules. C’était pour les Jésuites une façon de revanche

Le goût devenait aussi médiocre que les sentimens. Celui du roi n’était pas formé, et le ballet faisait tort sur son théâtre du Louvre au plaisir noble de la tragédie, laquelle, du reste, n’était plus la tragédie. Corneille avait renoncé une première fois à écrire en 1652, après la chute de son Pertharite. L’année suivante, Quinault débutait, et plaisait. Il enseignait dans des tragi-comédies fleuries et tendres que « l’amour rend tout permis, »

  1. Dans l’été de 1637.