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Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 18.djvu/624

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ainsi que l’avait dit Honoré d’Urfé dans l’Astrée un demi-siècle auparavant, et il renouait sans effort, après la parenthèse cornélienne, le fil d’une doctrine qui devait se transmettre sans autre interruption jusqu’à nos jours. L’amour justifie tout, car le droit à la passion est sacré, et rien ne subsiste devant lui :


Dans l’empire amoureux,
Le devoir n’a point de puissance...

L’éclat de deux beaux yeux adoucit bien un crime :
Au regard des amans tout paraît légitime[1].


L’idée qu’expriment ces vers se retrouve tout du long de l’œuvre de Quinault. Il l’a redite, avec la même douceur langoureuse et insinuante, pendant plus de trente ans, et personne, dans les commencemens, ne lui disputait sérieusement l’attention du public. A l’apparition de sa première pièce, en 1653, Racine avait quatorze ans. Molière n’est revenu à Paris qu’en 1658. Corneille, à la vérité, préparait sa rentrée au théâtre ; mais il se trouva, lorsqu’on joua ses dernières tragédies, qu’il avait cru bien faire d’étudier Quinault, et que cela n’avait pas toujours été en pure perte. C’est une preuve décisive de l’écho que trouvait dans les âmes l’immoralité « roucoulante »[2] du nouveau venu.

Ainsi la Cour de France se rendait peu intéressante en tout. L’éclat jeté par la Fronde sur les chercheurs et les chercheuses de grandes aventures n’avait pas été remplacé. Les plaisirs, qui faisaient à présent toute la vie, n’étaient pas toujours raffinés, on l’a vu plus haut, et ils n’étaient pas davantage intelligens. La troupe hardie des Mazarines donnait le ton au Louvre, et ce ton manquait de délicatesse. La reine Anne d’Autriche en gémissait dans l’intimité, mais elle lâchait la bride ; sauf d’épouser son fils, elle n’avait rien à refuser aux nièces du cardinal Mazarin.


IV

Parce que la Cour, presque tout entière, était oisive et frivole, il ne faudrait pas se hâter de penser du mal de la France d’alors. Il ne faut jamais se hâter de penser du mal de la France. La Cour n’était pas tout le pays ; il y avait place à côté d’elle

  1. Vers d’Atys, opéra joué en 1676, et d’Astrate, tragédie de 1663.
  2. Le mot est de M. Jules Lemaitre.