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Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 18.djvu/627

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et la soutane rapiécée faisaient rire lorsqu’il se présentait chez la reine. On a reconnu Vincent de Paul. Le commerce des grands n’avait pu le changer. On disait de lui, après des années de fréquentation à la Cour : « M. Vincent est toujours M. Vincent, » et cela était vrai ; ces hommes-là ne changent jamais, heureusement pour le monde. Il devint la cheville ouvrière de l’œuvre du relèvement des provinces ruinées.

Même après les derniers travaux, on ne saurait fixer la part de chacun dans cette entreprise colossale. La société secrète à laquelle il a été fait allusion avait été fondée en 1627, par le duc de Ventadour, dans une pensée mystique qui la conduisit, ainsi qu’il arrive souvent, à des œuvres essentiellement pratiques. Elle s’était donné le nom de Compagnie du Saint-Sacrement, et, sans doute, son but suprême était de « faire honorer partout le Saint-Sacrement. » Justement à cause de cela, la société cherchait à « procurer » autour d’elle « tout le bien » en son pouvoir, car rien n’est plus profitable à la religion que les secours, tant matériels que spirituels ou moraux, distribués sous son inspiration et, pour ainsi dire, de sa part. D’autant plus que la pratique de la charité est une source de précieux renseignemens pour établir la police des mœurs, d’où l’on passe aisément à la police des âmes, par laquelle on détruit l’hérésie, avec ou sans douceur. De ce programme devaient sortir des œuvres philanthropiques admirables, en avance de deux siècles sur les idées courantes, et, en même temps, des persécutions, des cruautés, des infamies, tous les vices inséparables de l’esprit sectaire, pour qui la fin justifie les moyens.

Ainsi orientée, la société grandit rapidement, toujours souterraine, et multipliant les précautions pour ne pas se déceler, puisque ni le clergé, ni la royauté, n’étaient bien disposés envers cette force mystérieuse dont ils recevaient les chocs sans distinguer d’où partaient les coups. Ce fut un pouvoir occulte assez analogue, quant à l’étendue, à l’intolérance, et même aux voies et moyens employés, à la franc-maçonnerie de l’époque actuelle. La Compagnie du Saint-Sacrement eut des affiliés par toute la France et dans toutes les classes ; Anne d’Autriche était à sa dévotion, un compagnon cordonnier y joua un rôle important. Vincent de Paul s’y enrôla vers 1635, contribua au bien et ignora probablement le mal. A dater de son affiliation, ses œuvres charitables s’emmêlent de telle sorte avec celles de la