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Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 18.djvu/630

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j’ai trouvé deux ou trois malades, en une seule dix ; deux femmes veuves, ayant chacune quatre enfans, couchés tous ensemble sur la terre, n’ayant chose quelconque et sans aucun linge. Un autre ecclésiastique, dans sa visite, ayant rencontré plusieurs portes fermées, en a fait faire ouverture et a trouvé que les malades étaient si faibles qu’ils ne pouvaient ouvrir la porte, n’ayant mangé depuis trois jours, et n’ayant sous eux qu’un peu de paille à demi pourrie ; le nombre de ces pauvres est si grand que sans le secours venu de Paris, lors de l’appréhension du siège, les bourgeois, ne les pouvant nourrir, avaient résolu de les jeter par-dessus les murailles. »

Il fallait des millions rien que pour alléger une pareille détresse, et Vincent de Paul rêvait mieux, ses associés avec lui : ils voulaient mettre ces populations agonisantes en état de reprendre le travail et de réparer leurs ruines. L’entreprise s’organisa au travers d’obstacles qui avaient l’air insurmontables. L’épuisement de la France et la difficulté des communications étaient les principaux. Le comité parisien sut trouver des sommes énormes, des dons en nature de toutes sortes, et le moyen de transporter ses approvisionnemens. Il s’était partagé les environs de Paris : Mme Joly, un village ; la présidente de Nesmond, quatre villages, et ainsi de suite. En dehors de la banlieue, on envoyait les missionnaires. L’un des derniers biographes de Vincent de Paul[1] évalue à douze millions de livres, qui en feraient soixante d’à présent, les sommes qu’il distribua, sans préciser, toutefois, si ce fut pour l’ensemble de ses œuvres, ou seulement pour celle qui nous occupe. Quoi qu’il en soit, cette dernière eut certainement la grosse part.

L’immensité de l’entreprise, son apparente témérité, nous en apprennent long sur la richesse et la puissance des classes moyennes au milieu du XVIIe siècle. Après Vincent de Paul et M. de Dernières, l’honneur de l’œuvre du relèvement revient au monde parlementaire et à la bourgeoisie parisienne ; l’aristocratie n’y joua qu’un rôle secondaire. Les classes moyennes fournirent cet effort énorme dans une période où presque tous les revenus manquaient à la fois. On nous dit que plusieurs eurent recours à l’emprunt pour alimenter la caisse, que d’autres vendirent leurs bijoux et leur vaisselle d’argent : encore cela suppose-t-il

  1. M. Emmanuel de Broglie.