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l’inconvénient de rappeler à tout venant que Mademoiselle devait fuir les plaisirs. Au bout de quelques semaines, elle en aurait volontiers repris sa part ; Anne d’Autriche eut la bonté de lui en donner l’ordre.

Cependant l’été approchait. La Cour continuait à se traîner de ville en ville, attendant qu’il plût au roi d’Espagne de lui amener sa fille, et le temps paraissait long. Mazarin s’enfermait à travailler. Louis XIV commandait l’exercice aux soldats de sa garde. La reine sa mère passait de longues heures dans les couvens. Mademoiselle écrivait ou faisait de la tapisserie. Un grand nombre de courtisans, n’en pouvant plus d’ennui, étaient retournés à Paris. Le reste vivait dans un désœuvrement complet. Le roi aurait eu là une belle occasion d’étudier ses provinces ; mais il n’avait pas l’esprit curieux. Il passa des mois entiers en face des Pyrénées sans s’aviser de savoir comment les montagnes sont faites, chose très ignorée de son temps. L’une des rares personnes qui se hasardèrent dans les Pyrénées, Mme de Motteville, a conté son étonnement en y découvrant des vallées, des torrens, des champs cultivés et des habitans. Elle avait cru trouver une sorte de grande muraille, « déserte et inculte. » On voyageait, pourtant ; mais la nature n’avait pas encore ses droits d’entrée dans la littérature, et les cercles où l’on en parlait étaient rares. Chacun ne connaissait du vaste monde que ce qu’il en avait vu de ses yeux.

Enfin, le 2 juin (1660), la Cour de France croquant le marmot à Saint-Jean-de-Luz depuis près d’un mois, on eut nouvelle de l’arrivée de Philippe IV et de l’infante Marie-Thérèse à Fontarabie. Les cérémonies du mariage commencèrent dès le lendemain.


VI

Il fallut six jours, et beaucoup de bonne volonté des deux parts, pour achever cette grande affaire sans offenser l’étiquette. Le problème consistait à marier le roi de France avec la fille du roi d’Espagne sans que le roi de France mît le pied en Espagne, ni le roi d’Espagne en France, et sans que l’infante quittât son père d’un pas avant d’être épousée. Du côté de notre Cour, où la discipline laissait à désirer, des difficultés de détail venaient à tout instant compliquer les choses. Le petit Monsieur pleurait d’envie d’aller à Fontarabie voir une cérémonie espagnole ; mais