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savent tous les autres. » L’utilité pratique des études qu’il avait négligées se faisait sentir à lui. Ne pas savoir l’histoire, avec son « métier, » c’était une gêne de tous les instans. Ne pas être capable de déchiffrer tout seul une lettre en latin, alors que Rome et l’Empire n’écrivaient leurs dépêches qu’en latin, c’était une servitude insupportable. N’avoir jamais rien lu sur « l’art de la guerre, » quand on avait l’ambition de s’y « rendre savant » et d’y acquérir de la gloire, c’était se mettre à soi-même des bâtons dans les roues. Son éducation était à refaire : « Toute la difficulté n’était qu’à pouvoir en trouver le temps. »

Il s’était interdit de s’arrêter aux autres difficultés, dont la principale était qu’à se remettre sur les bancs, il hasardait son autorité fraîche éclose. Louis XIV brava l’opinion avec un courage remarquable. C’est l’un des plus beaux endroits de sa vie. Il a été vraiment grand, par le sentiment du devoir professionnel et par l’empire sur lui-même, le jour où il osa se dire à lui-même, comme devait le dire tout haut le Bourgeois gentilhomme de Molière, et en se rendant parfaitement compte qu’il s’exposait au ridicule : « Je veux... savoir raisonner des choses parmi les honnêtes gens. » Pour lui rendre pleine justice, il faut se représenter l’effet dadais que produisait alors un écolier de vingt-trois ans[1]. Il faut se rappeler que l’on finissait ses classes à quinze ou seize, et que leur souvenir était inséparable de celui des verges, sans lesquelles il n’y avait pas de pédagogie au XVIIe siècle. Quand on sut que le roi reprenait des leçons de latin de son ancien précepteur et qu’il passait des heures à faire des thèmes, les courtisans durent avoir sur le bout de la langue de lui demander, comme Mme Jourdain à M. Jourdain : « N’irez-vous point l’un de ces jours au collège vous faire donner le fouet, à votre âge ? »

Il ne se berçait pas de l’illusion que son rang le sauverait des railleries. Il avoue à propos de l’histoire, qu’il voulut aussi rapprendre, combien la pensée du qu’en-dira-t-on lui avait été sensible : « — Un seul scrupule m’embarrassait, qui était que j’avais quelque manière de pudeur, étant dans la considération où j’étais dans le monde, de redescendre dans une occupation que j’aurais dû prendre de meilleure heure. » Tout avait cédé à la volonté « de n’être pas privé des connaissances qu’un honnête

  1. Il en avait même vingt-quatre lorsqu’il demanda à Péréfixe de lui redonner des leçons de latin.