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homme doit avoir. » Il ne fut pourtant jamais instruit ; il ne sut pas le latin, ce qui s’appelait le savoir au XVIIe siècle, où on l’apprenait bien. Trop d’affaires, ou de plaisirs, l’avaient empêché de suivre assez longtemps son dessein. Il est possible aussi qu’il ait été découragé par son peu de facilité. Louis XIV avait de la mémoire et du jugement, mais l’intelligence était lente. Bref, il abandonna ses études trop tôt, le sentit, et répéta jusqu’à sa mort : « Je suis ignorant. »

Quant à son labeur de chef d’Etat, jamais il ne s’en relâcha. Ses journées furent réglées une fois pour toutes. Mme de Motteville nous en donne l’arrangement au lendemain de la mort de Mazarin, Saint-Simon nous le redonne à un demi-siècle de distance, et c’est identique. Louis XIV consacrait régulièrement de six à huit heures par jour aux affaires, sans l’extraordinaire et l’imprévu, sans les fonctions d’apparat, si nombreuses et si importantes à son époque. Ajoutez le temps de dormir et de manger, de voir sa famille et de prendre l’air, et il n’en serait guère resté pour les divertissemens, si le roi n’avait eu la faculté de se passer de sommeil, presque à volonté. Ce fut ce qui lui permit de fournir au plaisir aussi largement qu’au travail. La Cour eut néanmoins de la peine à se faire au nouveau régime. Elle ne savait que devenir pendant que le roi travaillait : « On ne s’est jamais tant ennuyé que l’on s’ennuie ici, écrivait en 1664 le duc d’Enghien, fils du grand Condé. Le roi est enfermé quasi toute l’après-dîner[1]. »

En dehors de la Cour, on aurait crié de joie. La surprise de découvrir un grand laborieux dans ce faiseur de ronds de jambe avait été délicieuse. Paris était prêt à lui passer bien des faiblesses pourvu qu’il gouvernât, qu’il usât lui-même de son pouvoir. La bourgeoisie frondeuse désarmait. « Il faut, écrivait Guy Patin à un ami, que je vous fasse part d’une pensée que je trouve fort plaisante. M. de Vendôme a dit que notre bon roi est semblable à un jeune médecin qui a beaucoup d’ardeur pour sa profession, mais qui fait bien des qui pro quo. Je sais des gens qui le voient de près, qui m’ont assuré qu’il a de très bonnes intentions, et que dès qu’il sera plus maître qu’il n’est, il en persuadera tout le monde. Amen[2]. » Les mots que j’ai soulignés

  1. Lettre du 27 juin, à la reine de Pologne (Archives de Chantilly). — Le roi dînait à une heure.
  2. Lettre du 15 juillet 1661.