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Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 18.djvu/684

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J’ornerai ton jardin — cyprès, iris et roses, —
D’une fontaine en pleurs qui sera mon Amour ;
On l’entendra gémir dans l’écho, au détour
De l’allée où le pas s’attarde et se repose,
Quand, au soleil couchant et vers la fin du jour,
S’allongent les cyprès et se courbent les roses.

O fontaine, ô statue, attestez ce beau songe
Que nous aurons vécu jusqu’au soir qui descend
Sur les arbres en cendre et sur les fleurs en sang..
O statue, ô fontaine, apprenez au passant
Que ce qu’il foule ici fut le lieu d’un beau songe.


LE PIÈGE


C’était Pégase, le cheval fier et divin !
Il s’avançait, mâchant en sa bouche sans frein,
Des feuilles de laurier entre ses dents amères ;
Parfois, il s’arrêtait, brusque et frappant la terre
De son sabot, comme s’il voulait, du sol dur
Faire soudain jaillir le flot longtemps obscur
De quelque fabuleuse et nouvelle fontaine,
Les hommes ayant vu se tarir Hippocrène ;
Car dans sa source claire aux éloquentes eaux
Ils avaient, envieux chacun de ses rivaux.
Et pour les empêcher d’y boire le génie,
Jeté tant de cailloux, de fiente et de sanie
Que son onde, lourde d’ordure et de poison,
N’était plus à présent qu’un infâme limon ;
De sorte que, depuis, nul ne savait plus dire
Les mots mystérieux qui, rythmés sur la lyre.
Rendaient le grand cheval obéissant et doux
Et le faisaient hennir et ployer les genoux
Pour qu’on pût l’enfourcher et saisir sa crinière
Mouvante, et sur son dos monter vers la lumière !

On le voyait rôder, au loin, les crins au vent,
Comme si la colère éperonnait son flanc.
Il n’était plus le coursier pur, cher aux poètes.
Qui, couronné de fleurs, paraissait dans les fêtes