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Derrière la statue et les prêtres du Dieu.
Il fuyait les chemins et recherchait les lieux
Sauvages ; s’il venait aux portes de la ville
Il s’arrêtait, au bruit de la rumeur servile
Que font entre ses murs les hommes d’aujourd’hui ;
Et, si quelqu’un sortait pour s’approcher de lui.
Il s’écartait d’un bond sans écouter la voix.
Dédaigneux, méprisant, — haï... et c’est pourquoi
L’herbe de ce vallon cache un piège où bientôt
Va se prendre au lacet le fabuleux sabot
Et du chaste poitrail mouillé d’écume fraîche
Un sang trop orgueilleux coulera sous la flèche.

C’est lui. Il n’a pas vu le danger et l’embûche.
Il s’avance et pourtant il hésite ; il trébuche
Et le voici cabré qui recule... Il est pris !
Les flèches, du buisson, partent avec les cris.
Captif, il se débat, mais l’entrave résiste.
L’angoisse de la mort dilate son œil triste ;
Tandis que sur ton dos, ô Monstre agonisant
Qu’épuise, à flots vermeils, la perte de ton sang,
Tes deux ailes en feu dont la pourpre s’éteint
Battent d’un battement vertigineux et vain !

Le soir tombe. La lutte exécrable est finie.
Le crépuscule est rouge et la terre est rougie ;
Le corps inanimé de ce qui fut Pégase
Accable de son poids les herbes qu’il écrase.
Ses yeux sont clos ; il garde encore entre ses dents
La feuille de laurier qu’il mordit en mourant ;
Son sabot nuancé semble d’agate dure ;
Sa crinière aux longs crins flotte sur l’encolure ;
Son flanc est immobile et ses ailes inertes
Petites, qui semblaient si grandes quand, ouvertes,
Brusquement, leur essor l’emportait envolé,
D’un bond vers la lumière ou l’azur étoile !

Est-ce bien lui, qui fut fabuleux et divin,
Qu’on peut frapper du pied ou toucher de la main ?