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tous plus ou moins balafrés à la suite d’anciens duels d’étudians. Il y a des géologues, des botanistes, des météorologistes, des chimistes, des philologues, des légistes, des théologiens, voire un philosophe. Bon nombre manient le crayon, le pinceau ou le kodak. L’élément sportsman est représenté par quelques chasseurs déterminés qui ne rêvent que massacres de rennes, de morses, d’ours blancs. L’Oihonna, qui porte tant de précieuses existences, est muni d’une machine forte de 1 650 chevaux ; il a l’aspect d’un élégant yacht polaire, peint tout de blanc : spécialement destiné à la navigation d’hiver entre la Finlande et la Russie, il peut aisément s’ouvrir un chemin au milieu des glaces, grâce à la solidité de sa construction et à la forme élancée de sa proue taillée en coupoir. L’aménagement du bateau réalise le dernier mot du confort et de l’élégance. Le salon, établi sur le pont, est pourvu de larges fenêtres percées dans les parois latérales, et qui invitent à jouir du magnifique panorama des fjords de la Norvège et du Spitzberg. Sur le pont aussi sont installés le salon de lecture et le salon des dames. Ce pont est muni de promenoirs couverts, où l’on est à l’abri du mauvais temps. Les cabines sont pourvues du téléphone, de la lumière électrique, de tuyaux de chauffage et autres raffinemens de la vie moderne. Il y a un salon de musique, et il y a même un orchestre composé des stewarts recrutés dans l’état-major du Bremer Lloyd : leur journée terminée, ils nous régaleront chaque soir d’un concert de symphonie en plein air, vêtus de leur légère livrée, même lorsque nous grelotterons au Spitzberg. Le stewart en chef, avec ses lunettes, a un faux air de privat docent d’un comique achevé lorsqu’il souffle dans son trombone. Il va sans dire que les repas, qu’annonce une éclatante sonnerie de clairon, sont aussi nombreux que copieux, et de nature à satisfaire l’appétit que provoque l’air âpre et vivifiant des hautes latitudes. On peut s’imaginer l’influence bienfaisante que doivent exercer sur l’organisme humain un séjour prolongé dans une atmosphère d’une absolue pureté et une température toujours égale. Dans le Nord de la Norvège, il n’y a qu’un écart de deux ou trois degrés entre la température du jour et celle de la nuit ; au Spitzberg, l’écart est presque nul. Si paradoxale que la chose puisse paraître, dans ces pays froids les refroidissemens ne sont point à craindre. Enfin l’on ne saurait inventer une médication plus favorable au système nerveux qu’une croisière dans le